McGill souligne deux anniversaires, le 150e de la naissance de Debussy et le 50e de la création de l'une des symphonies les plus impressionnantes de Chostakovitch, la treizième, dite Babi Yar, en réunissant sur la scène de Pollack une masse imposante de quelque 270 participants.

Au grand Orchestre des étudiants, 110 au total, le titulaire Alexis Hauser ajoute le Choeur universitaire de l'institution, qu'il divise en deux groupes: en début de concert, les 60 voix féminines se joignent à l'orchestre pour Sirènes, le troisième et dernier volet du triptyque Nocturnes de Debussy; après l'entracte, les 80 choristes masculins forment, avec les 24 de l'Ensemble vocal Ganymède, le grand choeur d'hommes requis par le Chostakovitch.   

La partition du Chostakovitch prescrit un choeur variant entre 40 et 100 voix mais exclusivement composé de basses chantant à l'unisson. Pour diverses raisons (impossibilité de réunir quelque 100 basses, souci de clarification du texte), on mêle parfois des ténors et des barytons aux basses disponibles. Charles Dutoit en 1984 et Jacques Lacombe en 2006 adoptèrent cette formule lorsque l'oeuvre fut donnée à l'OSM, et Hauser fait de même.   

La juxtaposition du délicat Debussy et du tonitruant Chostakovitch crée un inhabituel contraste que Hauser souligne d'autant mieux qu'il tire le maximum de chacune des deux oeuvres. Une fois de plus, il nous étonne en dirigeant le concert entier de mémoire, ce qui est particulièrement à signaler dans le très long Chostakovitch où sont sollicités, pendant 63 minutes, un orchestre et un choeur constitués d'étudiants.   

L'hommage à Debussy est un peu plus modeste: 37 minutes. Le chef autrichien imprime une sorte de sensuelle mobilité aux Nuages qui ouvrent le triptyque. Le cor-anglais est impeccable dans sa petite phrase répétée, le chef conclut en suivant à la lettre ce que Debussy demande: «plus lent»...«encore plus lent». Il lance ensuite tout l'orchestre dans d'éblouissantes Fêtes aux lointaines trompettes en sourdine. Les voix de Sirènes manquent un peu d'homogénéité cependant et sont même légèrement fausses au début.   

Le Chostakovitch est bouleversant. Cantate autant que symphonie, l'oeuvre en cinq mouvements utilise des poèmes d'Evgueny Evtouchenko dont l'un, correspondant au premier mouvement, évoque le massacre perpétré au ravin de Babi Yar par les Nazis en 1941, d'où le titre donné à l'oeuvre complète. Les quatre mouvements suivants (dont les trois derniers se suivent sans interruption) décrivent avec cynisme les misères de la vie soviétique.   

Pour le premier mouvement, Hauser revient au texte original, ignorant donc (et avec raison) la version contenant les retouches que les autorités soviétiques avaient imposées aux auteurs.   

Manifestement très inspiré par le sujet et aiguillonnant l'orchestre et le choeur avec une énergie de tous les instants, Hauser reconstitue la fresque de Chostakovitch dans sa pleine et terrifiante réalité. Les envolées rageuses et extrêmement dissonantes de tout l'orchestre, le tuba solitaire et les sourdes timbales de la peur, les sifflements sardoniques des bois, les accents moqueurs émanant des petites percussions ou du choeur : tout est là. Quelle passionnante expérience, après l'inexistant Chostakovitch du nouveau venu Petrenko plus tôt cette semaine à l'OSM.  

Le Montréalais Taras Kulish a la lourde responsabilité du solo de basse. Il s'y défend remarquablement, adoptant les placements vocaux des grandes basses russes qui ont enregistré l'oeuvre et apportant aux textes une prononciation exacte et une réelle compréhension.   

Avant le concert, on a remis au jeune violoniste Baptiste Rodrigues, 25 ans, élève de Denise Lupien, la bourse annuelle Violon d'or de 20 000 $.

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ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE McGILL, CHOEUR UNIVERSITAIRE DE McGILL (dir. François Ouimet) et ENSEMBLE VOCAL GANYMÈDE (dir. Yvan Sabourin). Chef d'orchestre : Alexis Hauser. Soliste : Taras Kulish, basse. Hier soir, Pollack Hall de l'Université McGill. Reprise ce soir, 19 h 30.

Programme: Nocturnes, avec choeur féminin (1897-1901) - Debussy

Symphonie no 13, en si bémol mineur, avec basse solo et choeur masculin, sur des poèmes d'Evgueny Evtouchenko, op. 113 (Babi Yar) (1962) - Chostakovitch