Le retour de Murray Perahia, après une inexplicable absence de 21 ans, coïncidait avec le 40e anniversaire de ses débuts en cette ville. En effet, en 1991, il donnait un récital spécial pour le centenaire du Ladies' Morning Musical Club, soit l'organisme même qui, en 1972, avait offert son premier récital ici au jeune inconnu de 25 ans.

Aujourd'hui âgé de 65 ans, le pianiste américain était présenté conjointement par l'OSM (dans sa série Récitals) et Pro Musica, qui ouvrait ainsi sa saison - conjointement, c'est-à-dire que deux organismes durent unir leurs forces pour assurer le cachet du pianiste (qu'on dit être de l'ordre de 50 000 $).

Toujours aussi discret dans sa façon d'entrer en scène et toujours aussi concentré sur son clavier, comme devant un ami à qui il va livrer ses plus intimes confidences, Murray Perahia n'a absolument rien perdu de sa technique, de sa puissance et de sa souplesse pianistiques et de sa dimension de musicien et d'interprète.

Au départ, son programme était assez décevant, avec, au beau milieu, cette Sonate au clair de lune qu'on n'ose plus jouer parce qu'elle l'a été à satiété, et souvent plutôt mal. (Étrange coïncidence : Kissin l'avait aussi programmée en avril dernier, dans la même Maison symphonique.) Le reste était à l'avenant. Il manquait là une très grande oeuvre : la Hammerklavier, la Sonate de Liszt, la Fantaisie op. 17 de Schumann... C'était un programme comme en affichaient autrefois les populaires pianistes de tournée, Rubinstein et consorts.

Perahia nous fit vite oublier l'aspect décousu du menu proposé. La sonate de Haydn qu'il a choisie n'a rien de remarquable. Il la cisèle amoureusement comme une pièce d'orfèvrerie, fait dialoguer les deux mains comme deux personnages, transforme la chose en petit chef-d'oeuvre. Même métamorphose dans les six Moments musicaux de Schubert. Chacun devient une sorte de monologue intérieur. On réécoute même avec intérêt l'insipide et trop célèbre troisième. Mais pourquoi tant d'agressivité, soudain, dans les accords répétés du cinquième? Schubert indique tout au plus deux «f», jamais quatre!

Le pianiste ne cherche pas à «recréer» la célébrissime Sonate op. 27 no 2 de Beethoven. Il n'a recours à aucun artifice, joue simplement ce qui est écrit, raconte ce que l'on sait déjà par coeur. La différence, c'est que son génial talent d'interprète donne à l'auditeur l'impression d'entendre tout cela pour la première fois. La même remarque s'applique à ses deux Chopin : deuxième Impromptu et premier Scherzo.

La suite de cinq «tableaux fantastiques» que Schumann a intitulée Faschingsschwank aus Wien - ou Folie de Carnaval de Vienne, à ne pas confondre avec le Carnaval op. 9 - constituait un choix assez original. Perahia y a montré une prodigieuse virtuosité (quelques fausses notes y sont presque inévitables!) et, en même temps, fantaisie, humour et lyrisme. Ovationné et rappelé à grands cris, il a ajouté l'Impromptu op. 90 no 2 de Schubert et l'Intermezzo op. 119 no 3 de Brahms.

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MURRAY PERAHIA, pianiste. Mercredi soir, Maison symphonique, Place des Arts. Présentation conjointe : Orchestre Symphonique de Montréal (série Récitals) et Société Pro Musica.

Programme :

Sonate no 39, en ré majeur, Hob. XVI : 24 (1773) - Haydn

Moments musicaux op. 94, D. 780 (1823-27) - Schubert

Sonate no 14, en do dièse mineur, op. 27 no 2 (Clair de lune) (1801) - Beethoven

Faschingsschwank aus Wien, op. 26 (1839) - Schumann

Impromptu no 2, en fa dièse majeur, op. 36 (1839) - Chopin

Scherzo no 1, en si mineur, op. 20 (1831-32) - Chopin