C'est tout un événement. Près d'un quart de siècle après sa dernière visite, qui remonte à 1988, Murray Perahia, l'un des plus célèbres des pianistes vivants et l'un des plus appréciés, joue de nouveau à Montréal. Il sera en récital à la Maison symphonique à l'invitation de l'OSM mercredi soir, dans le cadre d'une tournée de sept villes nord-américaines.

Malgré cette longue absence, il dit garder de beaux souvenirs de ses concerts ici. «Si je ne suis pas revenu avant, ce n'était pas délibéré de ma part, mais plutôt dû aux circonstances et aux choix de mes agents», explique cet homme de peu de mots.

Généreux, le programme du récital permettra d'entendre des oeuvres de Schubert, d'Haydn, de Beethoven, de Schumann et de Chopin.

«Je conçois mes programmes en fonction de mes passions du moment, dit le pianiste. Présentement, Beethoven est une préoccupation constante dans ma vie, car je travaille à la révision complète des sonates pour la maison d'édition G. Henle Verlag, et Clair de lune est la dernière à laquelle nous avons travaillé. C'est pourquoi je l'ai mise au programme.»

Cette révision des sonates de Beethoven en collaboration avec l'éditeur allemand est un véritable travail de moine auquel il se consacre depuis des années. «C'est nécessaire, car les plus récentes recherches musicologiques ont permis de constater qu'il y avait des erreurs dans la présente édition, et que plusieurs notes étaient discutables, même dans des sonates très connues. Mon rôle est de passer au peigne fin les sources les plus fiables et les manuscrits, quand ils sont disponibles. J'examine tout, note par note. Je trouve cela fascinant.»

Profondeur

Cet amour des petits détails et de l'étude des partitions l'accompagne depuis toujours. Pour chacune des pièces qu'il interprète, il se livre à une analyse en profondeur de l'harmonie et du contrepoint en appliquant la méthode de Schenker, un théoricien qui fut le professeur de grands chefs d'orchestre, notamment Furtwängler.

«Il s'agit d'étudier la structure interne des pièces pour ramener la musique à l'essentiel et comprendre qu'elle part d'idées simples. Une fois que j'ai décortiqué une pièce jusqu'à en voir le squelette, je me sens beaucoup plus libre, car je peux comprendre comment le compositeur a élaboré à partir de là. Je ne suis plus limité aux notes, car j'en saisis l'essence.»

On s'étonne toutefois d'une grande absence au programme du récital: celle de Jean-Sébastien Bach. On sait qu'il a beaucoup côtoyé et enregistré ce compositeur au cours des dernières années.

«Le fait est que j'ai joué énormément de Bach récemment, car je l'incluais dans tous mes récitals, explique-t-il. J'ai décidé de faire une pause et de surprendre mon public en ne le jouant pas, juste pour cette saison. Bach a toujours été extrêmement important pour moi, surtout pendant les périodes où je ne pouvais plus jouer à cause d'une infection au pouce. À ce moment, j'ai ressenti le besoin de me plonger dans ses oeuvres, de les écouter et de les étudier à fond. Cela m'a sans doute influencé, de façon inconsciente, dans tout ce que je joue, car chez Bach, chaque accord possède une signification émotive différente.»

Musicien pour la vie

À 65 ans, ce bourreau de travail déclare qu'il jouera aussi longtemps qu'il le pourra.

«Peut-être qu'un jour je serai obligé d'arrêter, mais la musique est ma vie, dit Murray Perahia. Je ne vois pas comment on peut prendre sa retraite d'une telle chose. Rubinstein a joué jusqu'à 90 ans. Mon professeur, Horszowski, est décédé centenaire et il a joué jusqu'à la fin. J'ai aussi eu le privilège de côtoyer Horowitz durant ses dernières années et il m'a influencé. Il m'avait dit "si tu veux être plus qu'un virtuose, soit d'abord un virtuose". Pour lui, la véritable virtuosité ne venait pas d'abord de la technique, mais de l'imagination et de l'esprit. Avec les années, j'ai réfléchi plus profondément à la musique, et je pense que mon jeu a changé. Alors si vous voulez vraiment savoir qui je suis, venez m'entendre. Cela vous en révèlera plus sur moi que je pourrais le faire avec des mots.»

Murray Perahia, le 24 octobre à 20h, à la Maison symphonique de Montréal.