Montrant, avant même d'avoir 20 ans, la technique, les dons d'interprète et la maturité d'un grand violoncelliste, Stéphane Tétreault ajoute à ces qualités exceptionnelles une autre qualité essentielle à la carrière qui s'ouvre devant lui: il reste égal à lui-même.

Jouant sur son fameux Stradivarius de très grand prix, devant une centaine de personnes seulement (deux autres concerts importants avaient lieu le même soir), le jeune homme livra son programme entier de mémoire, pratique peu courante en musique de chambre et signe d'une préparation approfondie.

Bien que l'on soit très impressionné par un tel talent, on peut s'interroger sur certaines des approches stylistiques proposées. Par exemple, la première Suite pour violoncelle seul de Bach nous ramène au genre grandiloquent de Casals, via Yuli Turovsky, qui fut le principal professeur de M. Tétreault et l'est encore. C'est beau, c'est senti, mais ce pourrait être aussi beau et aussi senti tout en restant plus sobre. (Quelques légers grincements sont sans rapport avec la technique ou le style.)

L'emphase qui accompagnait le Bach convient davantage à Brahms et, à la rigueur, à la transcription pour violoncelle de la Sonate pour violon de Franck. M. Tétreault reprend une fois de plus le Franck, en remplacement de l'Arpeggione de Schubert d'abord annoncée. Il explique au public que l'erreur vient de son père, chargé de communiquer ses programmes de concerts. Il annonce aussi que le Pezzo capriccioso de Tchaïkovsky sera «peut-être» donné en rappel, alors qu'il figure déjà au programme.

Dans le Brahms et le Franck, violoncelle et piano ont des rôles égaux et s'imbriquent l'un dans l'autre. Les deux sonates sont marquées de décalages accidentels et peu importants. Situation plus grave, on assiste par moments à un véritable combat entre les deux instruments. M. Tétreault tire de son violoncelle une sonorité d'une incroyable puissance que le pianiste réussit néanmoins à engloutir. En fait, M. Guydukov joue tellement fort qu'on se demande si le piano pourra encore servir!

Le temps semble venu, pour Stéphane Tétreault, de revoir certaines choses. Il a entre les mains l'un des plus beaux violoncelles du monde et il possède l'un des plus beaux talents qui soient. Un grand professeur étranger l'aidera à aller plus loin encore sur les plans de la technique et du style. Un autre lui apprendra à parler en public. Faut-il aussi aborder la question du pianiste?

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STÉPHANE TÉTREAULT, violoncelliste, et OLEKSANDR GUYDUKOV, pianiste. Jeudi soir, Salle Marie-Stéphane, École Vincent-d'Indy. Présentation: Fondation Vincent-d'Indy.

Programme :

Suite no 1, en sol majeur, BWV 1007 (c. 1720) (violoncelle seul) - Bach

Sonate no 1, en mi mineur, op. 38 (1865) - Brahms

Sonate en la majeur (1886) - Franck, arr.: Delsart

Pezzo capriccioso
, op. 62 (1888) - Tchaïkovsky