L'Opéra de Montréal avait promis une Traviata «traditionnelle» comme ouverture de sa 33e saison. Promesse tenue... en bonne partie.

L'histoire célèbre -- une demi-mondaine trouve enfin l'amour véritable mais y renonce sous la pression du père de son amant et meurt de chagrin autant que de phtisie -- est jouée selon les normes établies. Seules dérogations aux conventions :

a ) on a situé l'action dans les années 1910-1920 (au lieu de 1850), avec intérieurs art déco appropriés, ce qui est tout à fait gratuit et n'ajoute absolument rien au sujet;

b) les entretiens les plus intimes des deux amants, Violetta et Alfredo, ou encore de Violetta et papa Germont, sont perturbés par le va-et-vient de deux indiscrets domestiques qu'on n'avait jamais vus là tout simplement parce qu'ils n'ont rien à y faire.

Le spectacle lui-même a été acheté du Minnesota Opera. C'est-à-dire : les décors et la plupart des costumes, le reste de ceux-ci provenant des ateliers de l'OdM. Tous ces éléments forment un spectacle convenable. On a vu mieux, on a surtout vu pire. Les salons de Violetta et de son amie Flora sont ceux de gens fortunés, les costumes sont luxueux, la maison de campagne de Violetta ressemble à une jolie carte postale et la chambre où elle meurt témoigne de la pauvreté où elle est tombée.

L'OdM avait aussi promis - et je cite - une «distribution européenne de grande classe» et, dans le rôle principal, «la réincarnation de Maria Callas». Ouf! Dans le premier cas, on pourrait parler d'injure à la vieille et chère Europe, berceau de notre propre culture. Quant à la référence à Callas, il faut ne jamais avoir vu et entendu la célèbre et toujours inégalée cantatrice pour écrire de telles inepties. J'ai vu et entendu Callas. Le seul lien que j'observe entre Callas et la nouvelle venue Myrtò Papatanasiu est accidentel : toutes deux sont d'origine grecque.

Pour l'ensemble, la jeune et mince chanteuse projette une voix belle et puissante, elle sait phraser et joue avec sincérité, mais elle n'émeut vraiment qu'à la toute fin lorsqu'elle agonise puis semble renaître un instant. Elle traduit avec force l'ambivalence de la grande scena du premier acte -- interrompue au beau milieu par des applaudissements! - mais, fort curieusement, elle change les notes dans la conclusion. Et Callas dans tout cela ? Le rapprochement ne m'est pas venu à l'esprit un seul instant.

La voix et l'allure du ténor Roberto De Biasio correspondent au personnage du jeune Alfredo. On le voudrait simplement un peu plus intense et chantant un peu plus juste. Il termine d'ailleurs à l'octave inférieure la cabalette de l'air «De' miei bollenti spiriti» (comme un certain ténor québécois qui, sans le vouloir, fait école!). L'autre représentant de la «grande classe européenne», le baryton Luca Grassi, est probablement le Germont père le plus terne que j'aie vu et entendu dans ma vie. Et pourquoi entre-t-il par une porte pour sortir ensuite par une autre?

Les chanteurs locaux qui complètent la distribution sont tous à leur affaire. Rien à dire de plus. Les choeurs sont bien vivants, le divertissement espagnol est coloré et les éclairages sont imaginatifs.

L'OdM avait négligé de nous informer que le chef annoncé était remplacé par un autre. Cet autre porte le nom bien sonore de Fabrizio Maria Carminati. Il appartient à cette catégorie de solides professionnels du métier qui connaissent bien la fosse et les chanteurs; il apporte de nouveaux accents aux deux envoûtants préludes et rétablit les pizzicatos dans l'air d'Alfredo mentionné plus haut.

LA TRAVIATA, opéra en trois actes (quatre tableaux), livret de Francesco Maria Piave d'après La Dame aux camélias d'Alexandre Dumas fils, musique de Giuseppe Verdi (1853).

Production: Opéra de Montréal. Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Première samedi soir. Autres représentations: 18, 20 et 22 septembre, 19 h 30. Avec surtitres français et anglais.

Distribution:

Violetta Valéry: Myrtò Papatanasiu, soprano

Alfredo Germont : Roberto De Biasio, ténor

Giorgio Germont : Luca Grassi, baryton

Flora Bervoix : Aidan Ferguson, mezzo-soprano

Annina : Karine Boucher, soprano

Le baron Douphol : Patrick Mallette, baryton

Gaston, vicomte de Letorières : Jean-Michel Richer, ténor

Le marquis d'Obigny : Tomislav Lavoie, baryton

Le docteur Grenvil : Alexandre Sylvestre, basse

* * *

Mise en scène: Michael Cavanagh

Décors : Tom Mays

Costumes : Gail Bakkom

Éclairages: Anne-Catherine Simard-Deraspe

Choeur de l'Opéra de Montréal (dir. Claude Webster) et Orchestre Métropolitain

Direction musicale : Fabrizio Maria Carminati