Le seul défaut du programme Beethoven de Stewart Goodyear mardi soir, au Festival de Lanaudière, est qu'il était trop court. Un tour d'horloge d'à peine plus d'une heure renfermait, à la fois, le mot de bienvenue, les trois sonates annoncées, les applaudissements, l'entracte et le rappel.

Tellement court, ce programme, qu'une dame m'a demandé, en sortant, si le pianiste avait joué l'Appassionata au complet! Oui, madame. Il a même fait la longue reprise au finale.

Mais très court quand même, ce récital: à 21h10, tout était fini.

Ce programme, le deuxième que Stewart Goodyear consacrait aux sonates de Beethoven, ne comportait que les opus 54, 57 et 79, qui datent de la période 1804-09. Les sonates jouées la veille datent aussi de cette période.

Explication du Festival : les oeuvres de Beethoven programmées cet été ont toutes été puisées à cette période. C'est une décision sans doute valable. Une décision plus valable encore, à mon sens, eût été d'inclure à chaque programme de M. Goodyear l'une des ultimes sonates (opus 101 à 111), dont il a signé un enregistrement exceptionnel. Ce choix eût produit des programmes plus variés, plus substantiels et, surtout, plus longs.

L'enregistrement en question marque d'ailleurs le début d'une intégrale des 32 sonates réalisée par le pianiste torontois de 34 ans pour la petite marque canadienne Marquis. L'intégrale est terminée et sortira en coffret le 11 septembre.

Stewart Goodyear vient de réaliser un exploit digne du Guinness Book of Records: le 9 juin, à Toronto, il jouait en une seule journée les 32 sonates, soit 10 heures de musique. Mardi soir, à Lavaltrie, c'est un autre genre d'exploit qu'il a accompli: renouveler l'écoute d'oeuvres aussi familières que l'Appassionata. Penché sur son clavier et bougeant à peine, le petit homme à la peau noire et aux grands yeux d'enfant étonné s'engage dans l'acte musical avec l'énergie d'un possédé. La réverbération du lieu n'affecte que les toutes premières minutes, le pianiste ayant immédiatement sondé le terrain et ajusté sa sonorité en conséquence.

La technique est éblouissante et la vélocité des deux mains sur le même dessin mélodique souligne sans cesse le drame musical. Mais ce qui distingue d'abord le jeu, c'est la force inhabituelle de la main gauche, qui provoque un dialogue extrêmement stimulant entre ce qui est écrit en clé de sol et ce qui est écrit en clé de fa. La basse est rageuse, l'aigu éclate comme un cri. Pourtant, Stewart Goodyear ne change rien au texte: il en fait simplement ressortir des éléments qui, il faut bien le dire, échappent à la plupart des pianistes. Un vent de folie traverse les mouvements rapides; en même temps, le calme des mouvements lents n'est jamais sacrifié.

Rappelé par l'auditoire debout, le pianiste se glisse dans le premier mouvement de la célèbre Clair de lune, terminant sur un soupir, comme s'il allait jouer le mouvement suivant.

L'enregistrement des dernières sonates m'avait impressionné au plus haut point. J'aurais pu parler alors de pianiste génial car cet absolu, ce récital me l'a révélé. J'irai plus loin: Stewart Goodyear m'apparaît comme le successeur d'Anton Kuerti au panthéon canadien des grands interprètes de Beethoven.

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STEWART GOODYEAR, pianiste. Mardi soir, église de Lavaltrie. Dans le cadre du 35e Festival de Lanaudière.

Programme consacré à Ludwig van Beethoven:

Sonate no 22, en fa majeur, op. 54 (1804)

Sonate no 25, en sol majeur, op. 79 (1809)

Sonate no 23, en fa mineur, op. 57 (Appassionata) (1804-05)