L'intégrale des 15 Quatuors à cordes de Chostakovitch vient de se terminer.

Il faut féliciter le fondateur et directeur artistique du Festival de musique de chambre de Montréal, Denis Brott, d'avoir présenté ce corpus important de la musique du XXe siècle (premier à le faire ici depuis 32 ans) et de l'avoir encadré de causeries pré-concert bilingues, reconnaître aussi l'effort qu'y a mis le jeune Quatuor Pacifica, venu des États-Unis pour l'occasion. Il faut également se réjouir de la réponse que l'initiative a obtenue auprès du public. L'église anglicane St. George peut recevoir 600 personnes et, chaque soir, l'assistance fut nombreuse et très attentive.

La saison étant très chargée, j'ai entendu deux des quatre programmes. Cela m'a suffi. Ces deux concerts ont confirmé l'impression laissée par le Pacifica à ses débuts ici en mars au LMMC. Le Pacifica n'est décidément pas un grand quatuor. Il avait fait un bon Dvorak en mars, mais Dvorak exige beaucoup moins que Chostakovitch.

Je reviens à ce que j'ai déjà dit. Les grands quatuors russes comme le Beethoven et le Borodine ont vécu les mêmes tourments que Chostakovitch; sous leurs archets, cette angoisse devient pour ainsi dire palpable et, par le fait même, cette musique nous parle et retient toujours l'attention.

En comparaison, les lectures du Pacifica restent en surface; elles ne vont pas au fond des choses. Les musiciens du Pacifica sont jeunes et ont peu de vécu; ils n'ont surtout pas connu la terreur stalinienne. Non seulement abordent-ils cette musique de l'extérieur, mais ils n'en traduisent même pas tous les éléments constitutifs, notamment les détails de dynamique. Chostakovitch indique à bien des endroits de très forts contrastes et le Pacifica n'en tient pas compte. Ainsi, le Quatuor no 13 se termine sur un puissant «ffff». Le groupe n'y fait qu'un simple «forte». Le deuxième mouvement du Quatuor no 15 débute par une succession de «fusées» marquées «ppp--ffff» où il faut passer du très doux au très fort. Chez le Pacifica, on ne sent à peu près pas de différence entre les deux extrêmes.

Des exécutions comme celles du Pacifica (d'autres ensembles aussi: il n'est pas le seul!)  nous font même nous demander si les 15 Quatuors de Chostakovitch sont tous les chefs-d'oeuvre que l'on dit. Cette musique fourmille d'effets sonores que j'ose qualifier de gratuits et de très longs passages curieusement confiés à un seul instrument ou à deux, mais pas davantage. Là encore, les spécialistes donnent à tout cela un tel sens que la question ne vient jamais à l'esprit.

Dans l'absolu, je signale encore les interventions de très haut niveau de l'altiste et du violoncelliste, particulièrement sollicités dans les Quatuors nos 13 et 14. Je dirais même qu'un certain climat parut s'installer dans le Quatuor no 14. Suivant une certaine tradition, le Quatuor no 15 (six Adagios enchaînés et totalisant cette fois 36 minutes) fut joué dans la pleine obscurité, une lumière éclairant seulement les musiciens.

QUATUOR À CORDES PACIFICA -- Simin Ganatra et Sigurbjorn Bernhardsson (violons), Masumi Per Rostad (alto) et Brandon Vamos (violoncelle). Vendredi soir, St. George's Anglican Church. Dans le cadre du 17e Festival de musique de chambre de Montréal.

Quatrième et dernier programme de l'intégrale des 15 Quatuors à cordes de Dmitri Chostakovitch:

Quatuor no 13, en si bémol mineur, op. 138 (1970)

Quatuor no 14, en fa dièse majeur, op. 142 (1973)

Quatuor no 15, mi bémol mineur, op. 144 (1974)