J'allais entendre Lang Lang avec une appréhension bien légitime, ayant encore en mémoire quelques exemples de son inconduite pianistique comme ce récital désastreux du 2 novembre 2003, au LMMC, où il faisait ses débuts dans cette ville.

Il est vrai que, ces derniers temps, le jeune pianiste chinois approchant de la trentaine s'est débarrassé d'une bonne partie de la vulgarité qui était pour ainsi dire devenue sa marque de commerce. Il en reste encore. Par exemple, cette façon désinvolte de saluer la foule devant lui, puis derrière lui, le bras levé, tel quelque champion olympique ou chanteur rock. Ou encore, avant de quitter définitivement la scène, le fait d'offrir à un spectateur la serviette (!) avec laquelle il s'était essuyé le front.

Je veux bien faire abstraction de ces détails (si on peut parler de détails!) devant la prestation de très haut niveau de Lang Lang mardi soir à la Maison symphonique presque comble. Car Lang Lang a joué comme un grand pianiste - mieux encore, comme un grand artiste. Désormais, il n'a plus le droit - on me passera l'expression! - de «faire le fou».

Son Bach - première Partita - est l'un des plus beaux que j'aie entendus: d'une clarté immaculée et d'une irrésistible énergie rythmique, avec une main gauche ayant exactement le même relief que la droite, une riche palette de couleurs créant un fort contraste entre les pièces et un discret rubato donnant au discours une vie absente des approches habituelles et trop cérébrales.

L'interminable Sonate ultime de Schubert (si bémol, D. 960) totalisait 43 minutes. Il est vrai que le pianiste y fait la longue reprise au premier mouvement, portant celui-ci à 21 minutes. L'auditoire applaudit, croyant sans doute que la sonate est terminée! Là encore, l'une des plus belles interprétations que je connaisse. La lente introduction semble sortir du silence. Lang Lang apporte à la reprise de nouvelles nuances et, rejoignant le comble de cette musique éminemment secrète, semble improviser.

Après l'entracte, les 12 Études op. 25 de Chopin lui permettent de faire briller au maximum son incroyable virtuosité tout en maintenant toujours au premier plan sa profonde musicalité et la densité expressive de ces pages. Comme dans Bach et dans Schubert, Lang Lang nous vaut là une autre vision géniale. Cette fois, l'exploit pianistique proche du vertige et la profondeur de la pensée se trouvent confondus.

Les rappels étaient inévitables. Il y en eut deux: de Chopin encore, la troisième Étude de l'op.10, puis un Liszt, La Campanella, avec, au suraigu du piano, des tintements répétés et quasi diaboliques que j'entends encore...

_________________________________________________________________________

LANG LANG, pianiste. Mardi soir, Maison symphonique, Place des Arts. Présentation: OSM-imprésario.

Programme:

Partita no 1, en si bémol majeur, BWV 825 (1726) - Bach

Sonate no 21, en si bémol majeur, D. 960 (1828) - Schubert

Études op. 25 (1832-36) - Chopin