Dans les années 20, George Gershwin était en contact avec Maurice Ravel et Duke Ellington était féru de musique impressionniste française. Plus nous avançons dans l'histoire du jazz moderne, plus nous constatons le renforcement de cette relation avec la musique classique occidentale. La trajectoire de notre Julie Lamontagne est éloquente en ce sens.

«De l'enfance jusqu'à la fin de l'adolescence, raconte la pianiste, j'ai joué de la musique classique. J'ai étudié avec Yolande Gaudreau et Marc Durand. Ce dernier voulait me faire sauter mon cégep et m'inscrire directement à l'université. Mais... au fond de moi, je voulais prendre une autre direction. J'ai alors tout arrêté pour bifurquer vers le jazz. Ma manière de jouer s'est alors transformée radicalement. Je regardais jouer les jazzmen et les claviéristes pop, je les imitais, j'étais une éponge... jusqu'à ce que j'étudie auprès de Fred Hersch en 2006.»

Le musicien new-yorkais, il faut dire, est un des maîtres jazzmen de notre ère ayant intégré au jazz moderne la musique classique pour piano. Et lorsque Julie s'est présentée chez lui dans la Grosse Pomme...

«J'avais fermé ce tiroir jusqu'à ce qu'il me rappelle la pianiste classique que j'avais d'abord été. Il m'a dit Julie, sors tes partitions classiques, réétudie tout ça, fais la connexion. Je me souviens d'être sortie de chez lui en état de choc; il avait changé ma position, m'avait suggéré de travailler sur des oeuvres de Brahms... Il m'avait remise en question.»

Bien assez pour que cette idée de lier jazz et musique classique fasse son chemin.

«J'ai étudié le jeu de Fred, je l'ai observé sur vidéo, j'ai beaucoup appris en analysant ses albums. La jonction entre classique et le jazz, j'estime que c'est lui qui l'a poussée le plus loin - enfin parmi les musiciens que je connais. C'est si difficile d'avoir les deux! Et c'est aussi ce que je vise désormais.»

En 2007, Julie Lamontagne a créé une pièce inspirée du Concerto pour piano no 3 de Rachmaninov, ce qui a donné la pièce Rachmania. Lentement, le projet de faire un album entier de jazzifications classiques a pris forme. Aujourd'hui, cet Opusjazz qui vient d'être lancé (sous étiquette Justin Time) se décline en plusieurs adaptations que décrit sommairement la principale intéressée.

«L'éveil, c'est la Pavane de Fauré. Waltz for Fred est une valse de Brahms qui a l'air simple, mais qui révèle une grande densité... et dédiée à Fred Hersch. Pour Bach, j'ai eu du mal et j'ai fini par refaire le Prélude no 1 en do majeur que j'ai refait en mode mineur. L'Hallelujah de Handel est devenu L'hymne de Monsieur H. La suite de Debussy Pour le piano (Prélude; Sarabande; Toccata) est devenue la Trilogie colorée (Doré-Violet-Jaune). Je n'ai vraiment aucun mal à m'identifier à Debussy dont la sonorité est proche du jazz. Pour Ravel, j'ai repris la Pavane pour une infante défunte. Ravel, c'est carrément jazz par bouts! Chopineries est un pot-pourri de Chopin (une nocturne, une ballade, une valse), pièces réharmonisées. André Mathieu m'a donné Prélude romantique, riche en harmonies et propice à l'improvisation.»

La musicienne compte ainsi jouer ce matériel en première partie du guitariste Al Di Meola dans le cadre d'une tournée québécoise qui s'arrêtera deux soirs au festival Montréal en lumière. La suite des choses? Il est question d'enrichir ce matériel d'une section de cordes.

Pour vraiment faire carrière sur la planète jazz, Julie Lamontagne a dû se départir de ses réflexes pop de directrice musicale et de claviériste vedette. On a beau s'avérer jazzwoman de haut niveau, difficile de voir son salaire fondre comme neige au soleil afin de faire valoir son plein potentiel. Généralement, c'est le contraire qui se produit dans la vie professionnelle, n'est-ce pas? Et puisque ce genre ne traverse pas la meilleure des périodes de son histoire, puisque son marché n'est pas en expansion, le choix d'embrasser le jazz est un pensez-y bien.

«Depuis la sortie de mon album précédent (Now What, 2009), c'était clair dans ma tête, mais... j'avais souvent le réflexe d'accepter les contrats pop sans trop réfléchir. C'était tellement ancré en moi! Dix ans de scène avec Isabelle Boulay, c'était quand même la dolce vita. J'étais très bien traitée, Isabelle est une soie! Être chef de son orchestre m'avait quand même maintenue alerte...

«Puis j'ai fait une grosse transition. Aujourd'hui, je fais encore de la pop (Marie-Christine Depestre ou Marie-Élaine Thibert), mais ce que j'accepte doit être stimulant musicalement et me permettre de mener à bien mes affaires. Ainsi, je souhaite mettre mes projets personnels de l'avant avec l'espoir de les exporter. Et, surtout, être en accord avec ce que je suis vraiment.»

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Julie Lamontagne se produira en première partie du guitariste Al Di Meola, les 23 et 24 février à l'Astral dans le cadre de Montréal en lumière.

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