Nicolas Gilbert a 33 ans, l'âge du Christ, et, comme Wagner, il a signé le texte autant que la musique de sa dernière composition. Je commence par une introduction aussi insignifiante pour la simple raison que je ne sais que dire de la pièce en question.

Ma première réaction en sortant de la Chapelle du Bon-Pasteur pour chercher un taxi dans le vent glacial de la rue Sherbrooke se résume en quelques mots : Quelle perte de temps! J'aurais pu faire tant de choses à la place! Mais j'adore le métier que j'exerce, le Bon-Pasteur annonçait une création de l'un des espoirs de notre jeune musique, ce qui valait donc le déplacement. Malgré la présence au calendrier d'un autre concert de musique contemporaine, nous étions une cinquantaine à avoir choisi Nicolas Gilbert.

Je continue de penser que M. Gilbert est un être très doué - compositeur, auteur de romans, polyglotte - et ce, malgré ce qu'il vient de nous servir.

Déjà, le titre piquait la curiosité : Thomas devant la fontaine éteinte. L'imagination de M. Gilbert allait certainement produire quelque chose d'inhabituel. Il n'en est rien. Sans avertissement, un spectateur, parmi les 50 présents, se lève et se dirige en parlant vers les musiciens du Quatuor Bozzini. C'est le comédien Simon-Pierre Lambert, qui raconte les problèmes de coeur du dénommé Thomas. Sa femme l'ayant abandonné, il s'installe dans un nouvel appartement, aperçoit de la fenêtre une femme qu'il croit reconnaître, descend, se lance à sa poursuite et, dans sa course, heurte une vieille dame dont le sac d'épicerie se renverse sur la chaussée, aide la vieille dame à ramasser les oranges tombées par terre et, du même coup, perd sa proie.

À un moment donné, j'ai dû, moi aussi, ramasser quelque chose par terre : mon programme m'était tombé des mains... parce que je m'étais endormi. Qu'on se rassure : quelques secondes à peine puisque le bruit sec du papier m'a immédiatement réveillé.

La pièce dure exactement 63 minutes. Le texte, pourtant bien écrit, traite d'un sujet sans réel intérêt. M. Lambert le dit bien (malgré quelques légers bafouillages), mais le fait qu'il le lise enlève du naturel à son propos. Le récit est d'ailleurs entrecoupé de séquences instrumentales tout aussi banales, voire indignes du talent de M. Gilbert. Ostinatos en doubles cordes, séquences automatiquement conclues sur un petit glissando, effets instrumentaux donnant l'impression que les musiciens accordent simplement leurs instruments : on a déjà entendu tout cela à satiété. À la rigueur, je retiens le solo assez original du violoncelle qui suit le «Chienne de vie!» lancé par le dénommé Thomas.

M. Thomas, on ne vous le fait pas dire.

QUATUOR À CORDES BOZZINI - Clemens Merkel et Mira Benjamin (violons), Stéphanie Bozzini (alto) et Isabelle Bozzini (violoncelle) - et SIMON-PIERRE LAMBERT, comédien. Vendredi soir, Chapelle historique du Bon-Pasteur.

Programme : Thomas devant la fontaine éteinte, pour quatuor à cordes et comédien (2012) (création) - Nicolas Gilbert