Malgré un lourd calendrier dominical de concerts - on en comptait au moins cinq hier après-midi - , Jean-Philippe Sylvestre avait attiré au Bon-Pasteur quelque 200 auditeurs, soit plus que ce que le lieu contient. Il fallut ouvrir la salle des expositions, derrière la scène, pour accommoder tout le monde.

Le programme me cite comme ayant fait les éloges du jeune pianiste après son exécution de la Rhapsodie sur un thème de Paganini, de Rachmaninov, l'été dernier. Je me retrouve aussi sur le site internet de M. Sylvestre comme ayant loué son interprétation du premier Concerto de Tchaïkovsky en 2000.

Sur la foi de ce que j'ai entendu de lui, avec orchestre ou en récital, je conclus que notre homme est pleinement à l'aise dans les gros concertos à l'emporte-pièce, style Tchaïkovsky-Rachmaninov-Prokofiev, mais que le territoire beaucoup plus exigeant du récital lui reste fermé. Il a déjà montré ses limites dans ce dernier cas et je ne vois pas comment, à 28 ans déjà, il pourrait vraiment évoluer.

Évoluer, c'est-à-dire devenir davantage qu'un simple pianiste, devenir un musicien et un interprète, avec de l'imagination, de la curiosité, de la personnalité. Porter du rouge vif, parler au public avant les pièces, rencontrer les gens après le concert, leur sourire à pleines dents: ce n'est pas cela, avoir de la personnalité.

Oublions quelques erreurs passagères, oublions le piano légèrement faux à l'aigu. Pour l'ensemble, M. Sylvestre s'est maintenu à un très bon premier degré d'exercice public de conservatoire. Il sut faire ressortir les voix dans les deux Bach d'entrée. Il joua la Sonate op. 10 no 2 de Beethoven avec toutes les reprises et montra l'indépendance des deux mains que requiert le Presto final. Il traversa sans problèmes le premier cahier, parsemé d'embûches, des Variations sur un thème de Paganini, de Brahms; dans les 11e et 12e variations, il y alla même d'une petite initiative en produisant un son étrangement feutré qui correspondait au «molto dolce» indiqué.

Après l'entracte, il fit savoir que l'année 2011 marque le bicentenaire de la «mort» de Liszt, alors qu'il s'agit de la naissance. Il avait en effet consacré à Liszt cette seconde moitié de récital. Un abus de rubato dans la troisième, et la plus connue, des six Consolations nuisait au discours. Le troisième et dernier Liebestraum fut traduit chaleureusement. Là encore, il s'agit de la plus connue de trois pièces dont chacune porte le titre de Liebestraum, c'est-à-dire Rêve d'amour. Le titre Liebesträume figurant dans le programme est pluriel et s'applique à l'ensemble des trois pièces et non à une seule. Autre erreur à corriger : la date de la naissance de Beethoven est 1770 et non 1779.

De Liszt, encore, M. Sylvestre conclut avec la sixième Rhapsodie hongroise, page pleine de panache dont Horowitz a laissé une gravure inégalée. M. Sylvestre la joua bruyamment, en petit cabotin recherchant une ovation, laquelle éclata, bruyante elle aussi, pour déboucher sur un rappel, bruyant lui aussi : l'Étude révolutionnaire, op. 10 no 12, de Chopin.

JEAN-PHILIPPE SYLVESTRE, pianiste. Hier après-midi, Chapelle historique du Bon-Pasteur.