Le Festival de Lanaudière nous avait d'abord informés qu'il tenait du Philadelphia Orchestra la consigne suivante: Charles Dutoit n'accordait «aucune interview aux journalistes canadiens» lors de son passage ici avec l'orchestre américain.

On craignait, semble-t-il, un retour sur les circonstances dans lesquelles Dutoit quitta l'OSM en 2002. J'avais rétorqué: on sait parler d'autre chose!

De quelque part en Europe, entre Rome et Verbier, et bien que très souffrant (39 de fièvre, ou quelque chose du genre), Dutoit m'avait pourtant confirmé par courriel la possibilité d'une rencontre avec «quelques journalistes», dans sa loge de l'Amphithéâtre, vendredi, le jour du premier concert, immédiatement après la répétition de l'après-midi. Ce qui fut fait.

Et la violoniste Chantal Juillet, dernière épouse en date du chef d'orchestre de 75 ans bientôt, de nous informer qu'il n'y a jamais eu d'interdiction de la part de son mari. Encore une fois, quelqu'un s'est tout simplement mêlé de ce qui ne le concernait pas...

Il y eut interview, oui, mais rien de bien révélateur. On rappelle d'abord quelques dates. Dutoit dirigea l'OSM pour la dernière fois les 26 et 27 mars 2002 à Wilfrid-Pelletier, mais pour la dernière fois à Lanaudière le 29 juillet 2000, ayant pris un congé de l'orchestre pour l'été 2001. «Déjà 10 ans...» observe-t-il sur le ton de l'homme qui voit le temps filer et qui, lui aussi, a un tout petit peu vieilli.

Je lui demande de nous parler de son parrainage à l'endroit de Yannick Nézet-Séguin, qui, comme on le sait, lui succédera l'an prochain comme chef du Philadelphia Orchestra. C'est-à-dire: comment l'a-t-il découvert et fait entrer là-bas, quelles qualités chez lui l'ont particulièrement frappé, etc. Dutoit explique et, tout à coup, se fâche et me lance: «Est-ce qu'on fait une interview avec Charles Dutoit ou est-ce qu'on parle de Nézet-Séguin?»

Ouf! Je retrouve bien là le Charles Dutoit que nous avons tous connu -et aimé, quand même!- pendant 25 ans.

Lui et Chantal arrivent de Corée du Nord où ils ont rencontré les autorités gouvernementales pour la création d'un orchestre qui réunirait de jeunes musiciens de la Corée du Nord et de la Corée du Sud et contribuerait ainsi à un rapprochement entre les deux pays.

Pour l'instant, il s'agit d'un projet. Rien de précis n'est annoncé. Mais Dutoit propose la Cinquième de Beethoven comme «oeuvre idéale» pour le concert de lancement.

On lui parle des nouveaux écrans géants qui encadrent la scène de l'Amphithéâtre. Il semble ne les avoir même pas remarqués. «Il y a de tels écrans partout maintenant!»

Le fameux «Philadelphia Sound» est évoqué. «Je tiens à cette tradition et je vois à ce que les nouveaux musiciens s'intègrent dans ce style bien particulier. Certains orchestres comme la Suisse Romande ont malheureusement renoncé à cette identité.» Il nous apprend qu'un membre de la section des seconds-violons, Jerome Wigler, 91 ans, a même connu Rachmaninov!

Au hasard de la conversation, Dutoit a un mot sympathique pour le père Fernand Lindsay (oubliant les petites frictions que l'on sait) et évoque les problèmes qu'il eut avec certains musiciens de l'OSM, qu'il identifie plutôt comme des «cornichons». Comment le blâmer? Mais il dit avoir gardé le meilleur souvenir de la plupart d'entre eux, ajoutant: «Je suis revenu surtout pour le public. Le départ en 2002 fut brusque. J'aurais voulu arranger les choses.»

Dans le même souffle, il dit vouloir diminuer ses activités et annonce plusieurs tournées avec le Philadelphia et le Royal Philharmonic en Europe, ailleurs dans le monde et jusqu'en Chine. L'homme qui a visité «les 196 pays du monde» (son propre calcul) n'en a pas encore assez vu!