Le concert que le Festival de Lanaudière avait confié cette année à son «ambassadeur artistique» Alain Lefèvre devait être consacré à la création des 24 Préludes de François Dompierre écrits à l'intention du populaire pianiste. Or, comme on sait, le projet est reporté à l'an prochain.

En guise de remplacement, Lanaudière a invité Lefèvre à redevenir pour un soir le champion d'André Mathieu, lui qui avait pourtant fait savoir qu'il «tournait la page». Entièrement modifié, le programme était centré sur l'une des plus ambitieuses parmi les diverses initiatives que Lefèvre a entreprises autour de Mathieu. C'est le quatrième Concerto, l'une des oeuvres les plus longues du compositeur, bien qu'il s'agisse d'une reconstitution-orchestration de Gilles Bellemare à partir d'un enregistrement privé de Mathieu jouant une réduction pour piano seul de son concerto. Autrement dit, les thèmes sont de Mathieu et l'encadrement orchestral est de Bellemare.

Lefèvre en a fait la création aux États-Unis en 2008, un enregistrement live a été réalisé à cette occasion, le pianiste a ensuite repris le concerto à Paris et finalement à l'OSM en 2010.

Lanaudière annonçait «Alain Lefèvre joue Mathieu à la demande générale». Ce qui est peut-être vrai: il est venu plus de 4 000 personnes à l'Amphithéâtre, l'écoute fut des plus intenses et l'ovation, extrêmement enthousiaste. On se demande simplement si les Préludes de Dompierre auraient aussi attiré plus de 4 000 personnes.

Programme entièrement modifié, ai-je dit. Le Concerto était joué avec l'Orchestre de la Francophonie (ex-«canadienne») et son jeune chef-fondateur Jean-Philippe Tremblay, qui avait dirigé le Mathieu à Paris. Tremblay complétait le concert de Lanaudière avec trois oeuvres en hommage au bicentenaire Liszt: le très rare poème symphonique Ce qu'on entend sur la montagne, d'après Victor Hugo, et deux pages connues principalement en version pour piano, soit la première Méphisto-Valse et Mazeppa.

Le meilleur souvenir qu'on rapporte de cette soirée de deux heures reste le Concerto de Mathieu et surtout ce qu'en a tiré Alain Lefèvre. Premier sujet d'étonnement: la mémorisation de ces milliers de notes. Le soliste joue presque sans répit pendant les trois mouvements. On remarque cependant que l'exécution faisait 36 minutes, par rapport à 41 sur le disque et 45 à l'OSM.

Même «en accéléré» (car il y a quand même là une différence de neuf minutes!), le concerto m'a paru bien long. Sentimentalité et sauvagerie, échos de Rachmaninov et même de Gershwin, formules orchestrales russes et françaises : tout cela constitue un remplissage à la fois habile et répétitif. Chose certaine, la passion dévorante que Lefèvre apporte à défendre cette musique force l'écoute. Je ne vois pas qui pourrait arriver au même résultat.

Les trois oeuvres de Liszt reçurent des lectures appliquées. Dans l'ensemble, le jeune orchestre de 70 musiciens sonnait bien et des instruments peu courants comme la clarinette-basse et le trombone-basse conféraient la couleur étrange appropriée au poème symphonique inspiré de Hugo. Le mouvement trépidant de Méphisto-Valse et surtout de Mazeppa requiert cependant une expérience d'orchestre, un souffle et une virtuosité que ne peut posséder une formation comme celle de la Francophonie dont les effectifs sont en grande partie renouvelés chaque année.

Orchestre de la Francophonie. Chef d'orchestre: Jean-Philippe Tremblay. Soliste: Alain Lefèvre, pianiste. Vendredi soir, Amphithéâtre Fernand-Lindsay de Joliette. Dans le cadre du 34e Festival de Lanaudière.

Programme :

Méphisto-Valse no 1, S.110 (1860-61) - Liszt

Concerto pour piano et orchestre no 4, en mi mineur (1947-48) - Mathieu, orchestration: Gilles Bellemare

Ce qu'on entend sur la montagne, poème symphonique no 1, S.95 (1848-49) - Liszt

Mazeppa, poème symphonique no 6, S.100 (1851-54) - Liszt