Un seul nom, sur trois, se détache de la première séance de l'épreuve finale du Concours international de piano: Beatrice Rana, d'Italie. «D'Italia», comme l'a susurré l'ineffable speakerine du Concours dans la portion «anglaise» de sa présentation.

L'impression n'est peut-être pas de redécouvrir le célébrissime premier Concerto de Tchaïkovsky, mais certainement - et c'est déjà beaucoup ! - de l'entendre par un pianiste de longue carrière. Or, il s'agit d'une toute petite femme de 18 ans, cheveux noirs, robe rouge, qui, déjà, possède une technique absolument complète à tous égards, qu'il s'agisse de l'articulation, de la vélocité ou de la puissance. Musicienne, elle peut jouer très vite sans presser, très fort sans casser le piano (comme ce Matsuev d'il y a quelques semaines); elle peut aussi produire des torrents de son et, tout à l'opposé, scruter avec finesse l'ambitus complet du clavier.

J'aurais simplement souhaité un peu plus d'abandon dans le mouvement lent - légère déception sans doute attribuable à la nervosité. Lorsque, reposée, Beatrice Rana rejouera son Tchaïkovsky, cette dimension additionnelle y sera sûrement. Et tout porte à croire que cette reprise se produira vendredi au concert des lauréats.

En effet, ceux qui ont suivi la compétition depuis le début voient en elle le premier prix. Il s'agit du plus jeune des six finalistes, et même des 24 concurrents, et il est très possible que le jury tienne compte de l'âge précoce où se manifeste un tel talent, comme ce fut le cas l'an dernier, en violon, avec Benjamin Beilman.

Inutile de dire que Beatrice Rana a complètement éclipsé les deux finalistes qui passaient avant elle.

L'Américain Henry Kramer a donné du Concerto en sol de Ravel une exécution extrêmement appliquée et extrêmement ennuyeuse. Toutes les notes étaient là (si l'on excepte un «oubli» d'une fraction de seconde vers la fin - chiffre 23 de la partition, pour ceux qui veulent vérifier!), les trilles étaient toujours clairs, etc., mais tout se déroulait machinalement, sans un instant d'imagination. Ce néant englobait jusqu'au début du mouvement lent, cette page complète de piano absolument seul où le soliste occupe tout l'espace. Le finaliste aurait dû se contenter d'un concerto davantage à sa portée - le charmant Grieg, par exemple.

Jean-François Rivest faisait l'impossible pour tirer du Métropolitain un bel encadrement ravélien, ce qu'il réussit d'ailleurs, malgré les horreurs entendues à l'entracte. Cette fin très retenue, indiquée «en se perdant», à la fin dudit mouvement lent, valait tout le concerto!

Zheeyoung Moon, de la Corée du sud, constitue presque un cas désespéré. Il s'agit du plus âgé des six candidats (hommes ou femmes) à se présenter à cette ultime épreuve. La souriante et grande jeune fille a 28 ans, soit 10 ans de plus que Beatrice Rana, et elle est singulièrement moins douée. Solide technicienne, oui, mais interprète quelconque.

Rivest et l'OM l'ont bien secondée, comme les deux autres.

Deuxième et dernière séance de la finale ce soir, 19h30: Lindsay Garritson (États-Unis) dans le deuxième de Prokofiev, Yulia Chaplina (Russie) dans le deuxième de Rachmaninov et Jong Ho Won (Corée du sud) dans le premier de Liszt. Un hasard, ces finalistes ont tous 23 ans. Autre hasard: les deux Concertos de Liszt figurent à la finale en cette année du bicentenaire de la naissance du compositeur.

Les noms des gagnants devraient sortir entre 22h30 et 23h.

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CONCOURS MUSICAL INTERNATIONAL DE MONTRÉAL. Discipline: piano. Épreuve finale, avec l'Orchestre Métropolitain, dir. Jean-François Rivest. Salle Maisonneuve de la Place des Arts. Première séance mardi soir.

Programme:

Henry Kramer, 24 ans (États-Unis): Concerto en sol majeur (1930-31) - Ravel

Zheeyoung Moon, 28 ans (Corée du sud): Concerto no 2, en la majeur, S. 125 (1839, rév. 1861) - Liszt

Beatrice Rana, 18 ans (Italie): Concerto no 1, en si bémol mineur, op. 23 (1874-75) - Tchaïkovsky