Denis Matsuev avait créé une très forte impression dans le troisième Concerto de Rachmaninov l'an dernier, plus exactement le dimanche 14 mars 2010, dans une salle Wilfrid-Pelletier comble, avec Valery Gergiev et l'Orchestre du Mariinsky de Saint-Pétersbourg.

«Ovationné par une salle en délire, le pianiste accorde un rappel», avais-je alors rapporté.

À 36 ans, Matsuev nous revenait hier soir, cette fois pour un récital, salle Maisonneuve. L'auditoire était un peu moins nombreux - 950 personnes - mais la description de l'an dernier reste la même... ou presque.

Ovationné par une salle en délire, oui, à la différence que Matsuev a enchaîné les rappels l'un après l'autre pour en donner, au total, six. Cela ne s'est pas vu souvent, à Montréal ou ailleurs.

Ces «bis», non identifiés par le pianiste, furent, dans cet ordre: La Tabatière à musique de Liadov, un Prélude de Rachmaninov (je risque l'op. 23 no 10, n'ayant pas la partition avec moi!), l'Étude op. 8 no 12 de Scriabine, Humoresque de Chtchédrine, un arrangement de Dans l'antre du roi de la montagne, extrait de la première suite de Peer Gynt de Grieg, et une improvisation-jazz du pianiste lui-même.

Le troisième Concerto de Rachmaninov de l'an dernier avait été pleinement satisfaisant, techniquement et musicalement. Hier soir, le programme de Matsuev englobait plusieurs genres. Le virtuose a voulu montrer qu'il peut jouer avec intériorité et parvient à convaincre jusqu'à un certain point dans les mouvements lents des sonates de Schubert, de Beethoven (la fameuse Appassionata) et de Rachmaninov (il a choisi la deuxième Sonate dans la révision de 1931, un peu plus courte que l'originale de 1913) et dans l'épisode marqué «dolce amoroso, con grazia» de la première Méphisto-Valse de Liszt.

Hélas! le virtuose dans ce qu'il a de plus tapageur et même de plus vulgaire prend le dessus à la première occasion. Le clavier, Matsuev ne le pétrit pas amoureusement: il le laboure avec une rage qui enlaidit carrément le son. On se demande même comment le pauvre piano résiste à de tels assauts. On entend le pianiste taper du pied jusqu'à l'arrière de la salle et on le voit terminer chaque «numéro» dans une extrême agitation, les deux bras en l'air. À l'entracte, l'accordeur vient travailler dans l'instrument - ou examiner l'étendue des dégâts?

Même s'il frappe quelques fausses notes ici et là - chose presque inévitable dans pareilles circonstances! -, Matsuev demeure un technicien absolument vertigineux, armé de moyens extrêmement puissants, mais capable aussi de la plus grande finesse: exemple, ces tintements de cristal dans le Liadov.

La foule a ovationné - que dis-je, crié son bonheur, ce qui est normal. On lui a même apporté des fleurs dès l'entracte. En ce qui me concerne, je trouve l'homme plutôt comique. Qu'il ait omis la reprise au premier mouvement du Schubert et la très longue reprise au finale de l'Appassionata, cela n'a pas la moindre importance...

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DENIS MATSUEV, pianiste. Hier soir, salle Maisonneuve de la Place des Arts. Présentation: Show One Productions. (Radiodiffusion: Radio-Canada, 13 juin, 20 h.)

Programme:

Sonate no 14, en la mineur, op. 143, D. 784 (1823) - Schubert

Sonate no 23, en fa mineur, op. 57 (Appassionata) (1804-05) - Beethoven

Méphisto-Valse no 1, S. 514 (1860) - Liszt

Sonate no 2, en si bémol mineur, op. 36 (1913, rév. 1931) - Rachmaninov