On avait rendez-vous en début d'après-midi devant la station de métro Alexandre Dumas, à trois coins de rue de l'appartement qu'elle loue généralement lorsqu'elle séjourne à Paris. C'est tout près du cimetière du Père-Lachaise, avec vue dégagée sur «un très joli immeuble d'Eiffel». Pour éviter de chercher son chemin, elle est venue en métro. Par commodité, on va dans le premier bistrot venu, où elle mange le plat du jour qu'on lui propose.

Et pourtant, Marie-Nicole Lemieux, à 35 ans, est désormais une véritable star de l'opéra. Les plus grandes salles de concert en Europe se l'arrachent. Elle est une abonnée du Théâtre des Champs-Élysées à Paris depuis 2003, a fait Covent Garden et fera bientôt le Barbican à Londres. La Scala de Milan et le Musikverein de Vienne figurent à son calendrier.

«Je suis chanceuse, dit-elle avec beaucoup de modestie, puisque j'ai enregistré une douzaine d'albums et que j'ai une maison de disques formidable, Naïve. Et mon agenda est complet jusqu'en 2015. Ou plutôt: il reste quelques places en 2014...»

Je lui demande si elle a lu le papier dithyrambique paru dans Le Monde deux jours plus tôt: «Je ne l'ai pas lu et je ne veux pas le lire! Les critiques me font un très mauvais effet. Même si elles sont bonnes, car je craindrai les suivantes. Une fois que le spectacle appartient au passé, on me les résume, et ça me suffit.»

Critiques élogieuses

Si Marie-Nicole Lemieux se trouve ces jours-ci à Paris, c'est qu'elle interprète le rôle-titre, au somptueux Théâtre des Champs-Élysées, d'une version scénique d'Orlando Furioso, célèbre opéra de Vivaldi, considéré comme son chef-d'oeuvre, mais généralement joué en version concert à cause de la complexité de son intrigue. On ne l'avait pas monté sur scène depuis un demi-siècle.

«Dans le rôle d'Orlando, écrit Le Monde, pourtant sévère sur la mise en scène, la Canadienne Marie-Nicole Lemieux est un phénomène. La contralto est hallucinante dans la longue scène de folie qu'est le troisième acte. La beauté et la ductilité de son chant, qui va de la plainte d'enfant au cri de bête, sont tout simplement sidérants.»

Le magazine Forum Opéra parle d'«une performance incroyable» et d'une «Lemieux au sommet de son art». Plusieurs autres chanteurs de cette production dirigée par Jean-Christophe Spinosi ont droit aux compliments: le contre-ténor Philippe Jaroussky et la mezzo Jennifer Larmore entre autres. Mais c'est Mademoiselle Lemieux que beaucoup viennent d'abord et avant tout voir.

Vendredi soir, dans une salle pleine à craquer, truffée de caméras discrètes pour une retransmission en direct sur la chaîne Mezzo, c'est notre diva, vêtue en homme et affublée d'une barbe - selon la tradition baroque et la partition de Vivaldi -, qui a eu droit à la première ovation de la soirée, dès son intervention au premier acte. À la fin du troisième, les spectateurs, parmi lesquels beaucoup de passionnés de musique baroque, lui ont fait un triomphe debout.

Un hommage d'autant plus notable que, pourle rôle le plus difficile de sa vie, «à cause de la mise en scène», Marie-Nicole Lemieux a subi le coup du sort qui est la hantise des chanteurs: le jour de la générale, elle a eu un début de rhinopharyngite. «J'ai chanté sans trop forcer, dit-elle. Mais le lendemain, j'avais la gorge et le nez complètement bouchés, et on a dû faire chanter ma doublure. Je voulais me réserver pour la soirée du vendredi retransmise sur Mezzo.» La guérison a été rapide, mais la chanteuse a décidé de se ménager: elle se fait remplacer pour les représentations prévues à Budapest dans les jours qui viennent, pour se concentrer sur celles de Londres et de Nice.

L'emploi du temps de notre vedette est frénétique. Elle a donné un récital au Royal Albert Hall en septembre dernier. Puis elle a fait l'ouverture de la saison à la Monnaie de Bruxelles. Après avoir été finaliste aux Victoires de la musique classique et remporté le prix Charles Cros pour son dernier album de musique française, la revoilà au Théâtre des Champs-Élysées en solo. À la Santa Cecilia de Rome dans du Rossini.

Les rôles de contralto ne sont pas si nombreux, ni dans l'opéra ni dans les airs de concert. Mais Marie-Nicole Lemieux les fait tous ou presque. Verdi, Rossini, la Neuvième de Beethoven dans les arènes d'Orange, les mouvements choraux de Malher. Le chant de la terre, également de Malher, prévu au Châtelet au mois de juin...

«J'ai été connue en 2003 en France avec l'enregistrement d'Orlando, dit-elle, mais je ne suis pas spécialisée dans le baroque. Je suis une chanteuse et je veux tout faire. Je veux dire: tous les rôles qui conviennent à ma voix.»

Photo: fournie par le Théâtre des Champs-Élysées

Marie-Nicole Lemieux a reçu des louanges pour son interprétation.