Des nombreuses productions de Rigoletto que mon métier m'a amené à voir, celle qui ouvrait hier soir la 31e saison de l'Opéra de Montréal n'est pas la première où l'interprète du rôle-titre est faible et presque éclipsé par ce qui l'entoure.

Il faut en conclure que le personnage imaginé par Verdi et son librettiste Piave est l'un des plus exigeants du répertoire tout entier. Mais le baryton britannique Anthony Michaels-Moore n'est pas entièrement responsable du malaise. Au strict point de vue visuel, ce Rigoletto n'est pas crédible. Il n'est pas bossu et il n'est pas répugnant, comme le veut la bonne tradition; lorsqu'il ne porte pas son costume de bouffon de cour, il marche bien droit et a presque l'air d'un homme d'affaires. L'apparence physique de ce Rigoletto est cependant le choix, non pas du chanteur invité, mais de ceux qui ont signé le spectacle.

Pour le reste, M. Michaels-Moore est nettement en cause. Il projette une solide voix de baryton, puissante et juste, mais sa prestation s'arrête à peu près là. On ne sent aucune hargne lorsqu'il invective les courtisans qui ont arraché à Rigoletto sa fille Gilda. Quand celle-ci sort enfin de sa cachette, notre chanteur regarde dans la salle. À la toute fin, lorsque Rigoletto découvre que c'est sa fille qui a été tuée, il faut déployer beaucoup d'effort pour croire à ce qui se passe sur scène.

Rigoletto a payé Sparafucile pour assassiner le Duc de Mantoue, dont sa fille est amoureuse, mais le Duc survit au complot. De même, à l'Opéra de Montréal, le ténor canadien David Pomeroy vole la vedette au pauvre Rigoletto. M. Pomeroy avait été plutôt mauvais dans Tosca la saison dernière. Bien qu'il ait encore tendance à gueuler, il conduit sa voix beaucoup mieux maintenant - une voix forte, bien timbrée et généralement juste - et il joue les jeunes amoureux frivoles avec beaucoup de naturel.

La soprano américaine Sarah Coburn est la vraie vedette du spectacle. Elle compose une Gilda idéale: jeune, belle et délicate, à la voix claire et légère, et elle fait sentir à chaque instant l'amour total qu'elle éprouve pour le Duc.

La mezzo canadienne Lauren Segal est, elle aussi, parfaitement convaincante dans le rôle plus bref de la très désirable Maddalena, soeur et complice du spadassin. Ce dernier rôle bénéficie de la présence et de la voix profonde d'Ernesto Morillo, basse du Venezuela.

Pour l'ensemble, la mise en scène traditionnelle de François Racine est vivante et efficace. Les quatre décors sont ingénieux et fort beaux, les costumes aussi. Mais les éclairages sont souvent trop sombres: au deuxième tableau, on distingue mal l'échelle dans le noir. Il y a tellement d'éclairs au dernier acte qu'on en avertit les spectateurs avant le lever du rideau.

Les choeurs sont particulièrement bons; ils viennent saluer après le deuxième acte car ils ne paraissent plus ensuite. Au pupitre de l'Orchestre Métropolitain, le chef invité Tyrone Paterson se limite à un accompagnement appliqué. La partition de Verdi donne à la fosse un rôle beaucoup plus dramatique.

RIGOLETTO, opéra en trois actes (quatre tableaux), livret de Francesco Maria Piave d'après le drame historique Le Roi s'amuse, de Victor Hugo, musique de Giuseppe Verdi (1851).

Production: Opéra de Montréal. Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Première hier soir. Autres représentations: 29 septembre, 2, 4 et 7 octobre, 20 h, et 9 octobre, 14 h. Avec surtitres français et anglais.

Distribution (rôles principaux):

Rigoletto, bouffon de cour du Duc de Mantoue : Anthony Michaels-Moore, baryton

Le Duc de Mantoue: David Pomeroy, ténor

Gilda, fille de Rigoletto: Sarah Coburn, soprano

Sparafucile, tueur à gages: Ernesto Morillo, basse

Maddalena, sa soeur et complice: Lauren Segal, mezzo-soprano

Giovanna, gouvernante de Gilda: Aidan Ferguson, mezzo-soprano

Monterone: Alexandre Sylvestre, basse

* * *

Mise en scène: François Racine

Décors et costumes: Carl Toms (location: San Diego Opera)

Éclairages: Anne-Catherine Simard-Deraspe

Choeur de l'Opéra de Montréal (dir. Claude Webster) et Orchestre Métropolitain

Direction musicale: Tyrone Paterson