C'est moins que bien des joueurs de hockey, mais pas mal plus que les politiciens. À moins d'une très improbable baisse de rémunération par rapport à son entrée en fonction en 2004, Kent Nagano, chef d'orchestre et directeur artistique de l'Orchestre symphonique de Montréal, touchera plus de 1 million de dollars pour 16 semaines de travail annuelles, un salaire qui le situe au rang des chefs les plus réputés.

Jeudi, quand a été annoncé le prolongement du contrat du maestro pour trois ans, l'Orchestre symphonique de Montréal n'a pas dit mot sur les sommes en jeu.

À l'OSM, hier, Madeleine Careau, directrice générale, n'a pas été plus diserte, expliquant que le contrat de Kent Nagano comporte une clause de confidentialité.

Impossible, donc, de savoir exactement le chiffre apposé au bas du contrat. Cela dit, en 2004, l'ancien président du conseil d'administration de l'OSM, Jacques Laurent, dans une entrevue au journal Les Affaires, avait révélé que Kent Nagano allait gagner «dans les mêmes eaux» que son prédécesseur, Charles Dutoit, qui touchait environ 1 million par année.

Madeleine Careau se souvient très bien de cet épisode: «M. Dutoit n'avait plus de contrat avec nous à ce moment-là et peut-être est-ce pour cela que Jacques Laurent s'était senti libre de le dire.» Elle-même, ajoute-t-elle, n'aurait jamais révélé le salaire du chef.

Aux États-Unis, les salaires des chefs des grands orchestres sont connus. On sait par exemple qu'au cours de l'année financière qui se terminait en 2007, Lorin Maazel, du New York Philharmonic, menait le bal avec 2,2 millions, tandis que James Levine, à Boston, et Michael Tilson Thomas, à San Francisco, suivaient avec 1,5 million.

Loto-Québec vient d'annoncer qu'elle versera 10 millions de dollars à l'orchestre pour le présent exercice budgétaire et 8,5 millions pour les trois années subséquentes. L'OSM est aujourd'hui subventionné à 49%. La nouvelle salle qui l'hébergera coûtera 260 millions, aux dernières nouvelles.

Grâce à ses subventions, l'OSM présente un budget équilibré à peu de chose près, à savoir un déficit de 29 000$ sur un budget de 23 millions, nous dit Madeleine Careau.

La directrice générale nous a transmis ces chiffres verbalement, au téléphone. Aucun rapport annuel ne se trouve sur le site internet de l'OSM et tout document écrit relatif à la santé financière de l'orchestre nous a d'abord été refusé, hier.

La Presse a donc donné un coup de fil à Lucien Bouchard, président du conseil d'administration. Au sujet du salaire de maestro Nagano, mais surtout, finalement, quant au fait que l'OSM ne divulgue pas ses résultats financiers. M. Bouchard a expliqué que les salaires des chefs sont confidentiels - pas toujours, mais souvent - mais qu'il allait faire un suivi. Se disant conscient des fonds publics en jeu, il a relevé d'emblée qu'une certaine transparence s'impose.

C'est ainsi que la directrice générale de l'OSM a rappelé La Presse, en fin de compte, pour dire qu'elle nous enverrait les documents par courrier, de façon exceptionnelle, puisque cette information n'est normalement acheminée qu'aux membres de l'OSM. L'orchestre étant un organisme privé à but non lucratif, ces résultats, a-t-elle dit, n'ont pas à être dévoilés.

Quelle transparence est requise?

À quel degré de transparence doit-on s'attendre de l'OSM? Salaire du maestro? Résultats annuels?

Claude Lamoureux, ex-président de la caisse de retraite des enseignants de l'Ontario et aujourd'hui membre de l'Institut sur la gouvernance, note que la divulgation des salaires des cadres supérieurs des entreprises a historiquement eu l'effet pervers de les faire gonfler. Il n'est donc pas mal à l'aise avec le fait que la rémunération de Nagano ne soit pas divulguée, le conseil d'administration de l'OSM étant digne de confiance jusqu'à preuve du contraire.

Par contre, pour ce qui est des états financiers de l'OSM, il s'est montré très surpris qu'ils ne se trouvent pas directement sur l'internet et surtout qu'il ait fallu faire des pieds et des mains pour les obtenir.

Au-delà de ce que prescrit ou ne prescrit pas la loi, Thierry Pauchant, titulaire de la chaire de management éthique à HEC Montréal, rappelle pour sa part que le principe de base est le suivant: «Plus l'apparence de conflit d'intérêts au sens large est importante, plus il faut être transparent.»

L'OSM reçoit d'importantes subventions dans un contexte de coupes généralisées, fait-il remarquer. Et l'argent qu'il reçoit ne va pas à d'autres organismes artistiques qui ont aussi de grands besoins.

Le devoir de transparence est d'autant plus important, note-t-il, que le président du conseil d'administration est un ancien premier ministre, avec l'influence que cela suppose. Dans ces conditions, croit M. Pauchant, «on doit faire extrêmement attention et donner l'information de la façon la plus ouverte possible».