2010, année Lulu pour Patricia Petibon: après Genève et avant Barcelone, la soprano vedette française démontre à Salzbourg sa maîtrise d'un rôle redoutable, même si la mise en scène de la Bulgare Vera Nemirova ne l'aide guère à composer son personnage.

Le Festival de Salzbourg accueille depuis dimanche soir et jusqu'au 17 août six représentations du second opéra d'Alban Berg (1885-1935) dans sa version en trois actes, dont le dernier a été complété par Friedrich Cerha à partir des esquisses du compositeur.

La manifestation aime décidément les plasticiens: après Jonathan Meese dans le «Dionysos» de Wolfgang Rihm, c'est un autre représentant de l'art contemporain allemand, le très coté Daniel Richter, qui signe la scénographie de cette nouvelle production.

Il y a du sens à convoquer un peintre pour décorer Lulu: il y en a un d'ailleurs dans l'ouvrage. L'un de ces trois hommes dont l'héroïne provoquera plus ou moins directement la mort après les avoir séduits, avant de finir elle-même au bout du couteau de Jack l'Eventreur.

L'art de Daniel Richter, présenté sur de vastes toiles que l'on affale violemment au moment des changements de scène, ne manque pas d'attraits. La peinture dégoulinante sur une femme dénudée (Ier acte), une multitude de visages inquiétants aux contours mal définis (II), une forêt en hiver (III) composent une proposition esthétique plutôt séduisante. Insuffisante cependant pour assurer la réussite du spectacle, qui a autant -- sinon plus -- besoin d'un metteur en scène que d'un décorateur pour prendre forme.

Or Vera Nemirova, Bulgare formée et installée en Allemagne, ne va pas vraiment au bout de ses idées. Pour «libérer Lulu des images de femme fatale mangeuse d'hommes ou d'éternelle femme-enfant», il faut prendre en compte sa dimension de mythe, explique-t-elle dans le programme de salle.

Hélas, de l'intention à la réalisation, il y a un monde que ne franchit pas cette mise en scène peu lisible, inadaptée au lieu (la largeur du plateau est sous-utilisée, les superbes arcades du Manège des rochers sont ignorées), parfois facile (la soirée parisienne de l'acte III se joue dans la salle, décorée de boules à facettes, avec un air de déjà-vu). La figure mythique promise peine à émerger, tandis que la réalité charnelle et scandaleuse de Lulu, pourtant essentielle, est très atténuée.

A Genève, où elle a fait ses débuts dans le rôle-titre en février, Patricia Petibon avait trouvé chez le Français Olivier Py un théâtre d'une autre portée, à la fois profond et fascinant de virtuosité, tournoyant comme une roue de la fortune faisant passer Lulu de la gloire à la déchéance.

Ici, la soprano légère, jeune quadragénaire, semble de prime abord moins rayonnante, et sa voix de format modéré un peu perdue dans la vaste Felsenreitschule. Mais son chant ne manque pas de séduction et tutoie avec aisance l'aigu stratosphérique voire hystérique que requiert la partition.

Bien entourée vocalement (le Dr Schön plein d'autorité du baryton Michael Volle, la Geschwitz distinguée de la mezzo Tanja Ariane Baumgartner...), Patricia Petibon retrouve avec confiance le chef de ses débuts en Lulu, l'Allemand Marc Albrecht.

Une baguette à la technique précise, capable de guider le Philharmonique de Vienne dans une musique -- viennoise, pourtant -- qui n'est pas exactement sa spécialité, tout en flattant avec modération la beauté de ses pupitres (les cordes notamment). Sous couvert d'une syntaxe dodécaphonique rigoureuse, ce Berg-là ne manque pas de sensualité.