De par sa nature monumentale et les moyens inhabituels qu'elle requiert, la Symphonie des Mille de Mahler est très souvent programmée pour marquer un anniversaire, qu'il soit musical ou non. Charles Dutoit la monta en 1984 pour couronner la 50e saison de l'OSM. À Québec en 2008, Yoav Talmi en fit le grand événement du 400e de la Vieille Capitale.

Yannick Nézet-Séguin l'avait choisie pour clôturer sa dixième saison comme titulaire de l'Orchestre Métropolitain; il complétait ainsi son intégrale Mahler locale. Or, comme l'oeuvre exige un orchestre plus grand que l'OM, il invita les 78 musiciens de l'Orchestre du Centre National des Arts, d'Ottawa, à former avec les 58 de l'OM un grand orchestre mahlérien de 136 musiciens. Idéalement, le nombre eût été de 160 environ, comme à la création, en 1910, mais il fallut se contenter de 136 - nombre bien suffisant, surtout que la scène de la salle Wilfrid-Pelletier était déjà occupée en très grande partie par l'immense choeur de 315 hommes, femmes et enfants provenant de six formations différentes.

Au total, avec les huit chanteurs solistes, nous avions devant nous, hier, 459 exécutants. Il y en avait partout!

Cette triple présentation de la Symphonie des Mille - d'abord au CNA mercredi et jeudi soirs derniers puis hier après-midi dans une W.-P. comble - coïncidait avec l'annonce de la nomination de Nézet-Séguin à la tête du Philadelphia Orchestra. Le concert d'hier devint ainsi une sorte de grandiose célébration de l'événement, d'ailleurs augmenté du Prix du gouverneur-général de 25 000$.

À son entrée en scène, le jeune chef fut accueilli par la foule debout, tel quelque vedette pop. Il dit quelques mots, annonça qu'il donnait le concert à la mémoire de cette grande chanteuse mahlérienne que fut Maureen Forrester, puis monta au pupitre, baquette en main, la partition devant lui. L'exécution dura 84 minutes, de 16h15 à 17h40, une pause d'une minute séparant les deux mouvements. Lorsque tout fut terminé, l'auditoire se leva et fit à tous les participants une ovation plus bruyante encore que la première, et qui dura sept minutes.

Comme il s'agissait de la troisième exécution de la même musique en moins d'une semaine, il y avait lieu de s'étonner des problèmes d'émission chez le ténor Mac Master et des flottements entre des groupes instrumentaux et choraux. Mais ce sont là des détails. Nageant au milieu de cet océan sonore qu'est la Symphonie des Mille, tous sortirent sains et saufs, sans naufrage.

L'oeuvre, avec ses deux textes en deux langues différentes, sans lien entre eux, et ses épisodes où tous crient comme s'ils voulaient enterrer l'orchestre, l'oeuvre, dis-je, continue de dérouter - davantage même. Il y a vraiment là des longueurs et j'ai vu des gens dormir. Nézet-Séguin, dont l'énergie et la passion semblent inépuisables, a bien rendu les séquences tumultueuses et les moments d'accalmie et de mystère, sans exagérer cependant dans un sens ou dans l'autre. Les sonorités qu'il obtint des choeurs évoquaient celles de l'orgue. Chez les huit solistes vocaux, on retiendra les deux sopranos Joni Henson et Erin Wall, au suraigu à la fois percutant et juste, et le baryton puissant et plein d'autorité d'Alexander Dobson.

Le concert avait été précédé à 15h d'une brillante conférence de l'organiste Vincent Boucher sur le sujet.

ORCHESTRE MÉTROPOLITAIN et ORCHESTRE DU CENTRE NATIONAL DES ARTS, Choeur de l'OM, Société chorale d'Ottawa, Cantata Singers d'Ottawa, Ewashko Singers, Choeur en Fête et Voix d'enfants de la Christ Church Cathedral d'Ottawa. Solistes : Joni Henson, Erin Wall et Nathalie Paulin, sopranos, Susan Platts et Anita Krause, mezzo-sopranos, John Mac Master, ténor, Alexander Dobson, baryton, et Robert Pomakov, basse. Chef d'orchestre : Yannick Nézet-Séguin. Hier après-midi, salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Programme: Symphonie no 8, en mi bémol majeur, pour grand orchestre, deux choeurs mixtes, choeur d'enfants et huit voix solistes (Symphonie des Mille) (1906-10) - Gustav Mahler