Absent depuis deux mois, Kent Nagano retrouvait hier après-midi l'Orchestre Symphonique de Montréal dans une salle Wilfrid-Pelletier absolument comble, et ce, malgré un programme assez sévère, l'absence de tout nom de soliste et le soleil qui invitait à rester au dehors.

Quels qu'en soient les tenants et les aboutissants, le phénomène est là, indéniable : le nom Nagano remplit les salles. Reste à savoir combien de temps durera la lune de miel et, si elle dure, quels réels bienfaits en retireront les mélomanes et la vie culturelle de cette ville et, finalement, la musique elle-même.

Devant certains programmes du bien-aimé maestro et devant sa façon d'interpréter certaines musiques, on a parfaitement le droit de se poser des questions, surtout que l'événement d'hier illustrait assez bien ce à quoi correspond la présence ici de Kent Nagano.

Aux extrêmes du programme : deux vastes partitions de Debussy. Nagano reprend ce que Dutoit faisait si bien pour faire... un peu moins bien. Jeux est une chose abstraite et il n'en tire rien. La Mer lui va mieux: les timbres lointains et la mouvance des cordes sont assez évocateurs. Mais il est clair que cela n'a pas été répété dans le détail.

Excepté le Mozart, ce programme entièrement XXe siècle l'était dès avant le changement d'il y a quelques jours. À son habitude, Nagano remplaçait, et sans donner de raison, l'oeuvre annoncée - dans ce cas-ci, Jeu de cartes par un autre Stravinsky, la Suite du ballet Pulcinella. Je ne m'en plaindrai pas, car je déteste Jeu de cartes, alors que la version abrégée de l'interminable Pulcinella passe mieux.

À signaler ici: un surprenant brin d'humour dans la direction de Nagano et l'habituelle virtuosité des premiers-pupitres, depuis le jeune violon-solo Andrew Wan jusqu'aux valeureux «survivants» de la grande époque Dutoit comme le hautboïste Theodore Baskin. Mais on s'étonne des erreurs commises par le trompettiste Merkelo.

Réduit pour Pulcinella, l'orchestre le reste aussi pour le Mozart déjà mentionné, soit la Symphonie no 35 - la Haffner. Suivant certaines traditions, Nagano omet la reprise au premier mouvement mais il la fait au mouvement suivant, un Andante qu'il dirige d'ailleurs comme si l'indication s'augmentait d'un «con moto».

Le public d'hier était ce que j'appelle «le public de Nagano». On toussait beaucoup, on parlait avec son voisin, on entrait en retard, on partait avant la fin, mais le comportement collectif de ces plus de 2500 personnes était fort correct. On écoutait comme si c'était la voix de Dieu qui parlait... et on avait appris à ne pas applaudir entre les mouvements.

Reste un souhait : le retour à la lumière. Si la direction veut absolument maintenir la salle dans l'obscurité pendant que l'orchestre joue, qu'au moins elle l'éclaire entre les oeuvres de façon à permettre à ceux qui veulent lire les notes de programme de le faire.

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ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL. Chef d'orchestre : Kent Nagano. Hier après-midi, salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Série «Dimanches en musique». Programme : Jeux (1912-13) - Debussy Suite du ballet Pulcinella (1920-49) - Stravinsky Symphonie no 35, en ré majeur, K. 385 (Haffner) (1782) - Mozart La Mer (1903-05) - Debussy