Une affiche à l'entrée nous informait que ce concert du Ladies' Morning Musical Club serait donné «sans interruption». C'est-à-dire que le baryton allemand Stephan Genz chanterait Winterreise d'une seule traite, comme c'est la coutume.

Et pourtant, interruption il y eut. Après le quatrième des 24 lieder, dans le bruit que faisaient les auditeurs en tournant leurs feuilles de traductions, le chanteur s'arrêta et marmonna quelque chose en anglais où il était question de «téléphone» et d'«irritation», pendant que le pianiste, tout à fait d'accord avec son patron, lançait des regards assassins vers la salle.

La salle, acquiesçant, applaudit en choeur. Le chanteur poursuivit ce «voyage hivernal» qui, déjà pénible par son sujet, l'était un peu plus en raison du contexte. Le sixième lied le surprit à effleurer des notes; le septième le trouva avec un petit chat dans la gorge. Après le huitième lied: nouvelle séance de bruyant tournage de pages. Le neuvième se révèle trop bas pour la tessiture du chanteur; au 10e, il change des notes et se rabat sur des effets de voix qu'il rate.

Nouveaux coups de téléphone cellulaire (!) dans le 12e lied, que le chanteur préfère ignorer, mais qui provoquent encore l'impatience du pianiste. La voix redevient légèrement enrouée dans le 15e lied, chose moins grave cette fois puisqu'il y est question d'une corneille.

Une certaine vitesse de croisière s'établit au 16e lied où, curieux hasard, on parle d'espoir. Enfin, les bruits de salle, toux et autres, ont à peu près disparu, le chanteur a mis fin au mouvement perpétuel de ses deux mains, il laisse sa voix s'épanouir avec naturel, sans manières, avec le piano, derrière, comme prolongement.

Au 24e et dernier lied, le déchirant Der Leiermann («Le Ménétrier»), nous voici, semble-t-il, au sommet espéré depuis le début. Hélas! l'auditoire commence à applaudir sur les dernières notes du piano. Les deux coéquipiers se regardent, tombent dans les bras l'un de l'autre, viennent saluer poliment et ne donnent pas de rappel.

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STEPHAN GENZ, baryton. Au piano : Eric Schneider. Hier après-midi, Pollack Hall de l'Université McGill. Présentation : Ladies' Morning Musical Club. Programme : Winterreise, cycle de 24 lieder de Franz Schubert sur des poèmes de Wilhelm Müller, op. 89, D. 911 (1827)