Il était le chouchou de Marie-Antoinette. Mais l'histoire l'a complètement oublié. Plus de 200 ans après sa mort, le Chevalier de Saint-Georges sera-t-il enfin réhabilité?

«Le père du romantisme, ce n'est pas Beethoven, ni Mozart. C'est lui.» Léo Koby Véro n'en démord pas. Il reste convaincu que le Chevalier de Saint-Georges, dit le «Mozart noir», fut un des grands musiciens de son temps. Et il est prêt à tout pour nous le prouver.

 

Ce soir à la salle Oscar-Peterson, le musicien guyanais de 76 ans présentera quelques oeuvres de ce compositeur noir méconnu, qui vécut dans la France du XVIIIe siècle. Une dizaine de musiciens l'accompagneront sur scène, incluant la cantatrice Marie-Josée Lord et le violoniste français Bernard Zinck. M. Véro espère que ce concert spécial, donné dans le cadre du Mois de l'histoire des Noirs, permettra de ressusciter ce personnage quasi romanesque, qui fut vraisemblablement «oublié» à cause de sa couleur.

Né d'un père aristocrate français et d'une mère esclave guadeloupéenne, Joseph Boulogne de Saint-Georges fut, sauf erreur, le premier musicien classique de race noire. Peut-être le considérait-on comme une curiosité. Ou peut-être était-il un compositeur réellement talentueux, doublé d'un authentique virtuose du violon. Dans tous les cas, il semble que l'homme ait connu un certain succès de son vivant, notamment dans l'entourage la reine Marie-Antoinette, devant qui il se produisait régulièrement...

Pour M. Véro, il ne fait aucun doute que Saint-Georges mérite sa place dans les livres d'histoire. «Non seulement était-il un violoniste doué, mais c'est lui qui a étendu la formation symphonique de 20 à 80 musiciens. Il a inventé le grand orchestre, mais aussi le conducteur, qui est la partition regroupant toutes les parties de l'orchestre. C'est lui qui a commandé à Haydn ses six symphonies parisiennes. Il fut le premier à exprimer ses états d'âme dans la musique - je pense au deuxième mouvement de son Concerto en ré majeur . Et puis, contrairement à Mozart, ses mélodies étaient simples. Il ne les noyait pas dans des tonnes d'accords...»

Comme si ce n'était pas assez, l'homme se serait aussi distingué dans la sphère militaire. Fine lame, duelliste redoutable et antiesclavagiste convaincu, il mit sur pied un régiment de 1000 soldats noirs pour lutter contre l'armée autrichienne et les forces royalistes du général Dumouriez, avant d'aller rejoindre les rangs de la révolution haïtienne! À défaut d'être retenu par les encyclopédies musicales, ses talents au fleuret lui valurent d'être souvent mentionné dans des traités d'escrime.

Cela n'empêchera pas Napoléon de l'envoyer aux oubliettes, en prohibant toute interprétation publique de sa musique. Les raisons de cette censure restent floues, mais l'hypothèse du racisme semble encore la plus plausible, si l'on en croit l'Américain Bill Zick, auteur du site web Africlassical.com, consacré aux musiciens noirs. «Je crois sincèrement que la race a joué un rôle dans le fait qu'on a cessé d'interpréter ses compositions. Sinon, je ne vois pas. Il n'était peut-être pas du niveau de Mozart ou Haydn. Mais il était de bon niveau et sa musique me semble encore de grande qualité...»

Mort en 1799 à l'âge de 54 ans, Saint-Georges aurait écrit quelque 600 oeuvres, dont 215 seulement ont été retrouvées. Parmi celles-ci, un opéra au titre éloquent: Le Nègre des lumières, qui fut repris en 2005 à Avignon.

Il faut savoir que depuis l'an 2000, l'organisme français du Concert du Chevalier de Saint-Georges (www.saint-george.phpnet.fr) travaille d'arrache-pied pour la réhabilitation du «Mozart noir», qui a en outre fait l'objet d'un film et d'une poignée de biographies (Claude Ribbe, Alain Guédé, Pierre Bardin). Au Québec, le Cénacle du Chevalier de Saint-Georges (www.cenacle-stgeorge.ca), fondé en 2007 par M. Véro, s'est donné la même mission. Cette association compte actuellement 195 membres, dont Bernard Landry, Maka Kotto, Gérald Larose et Gregory Charles.

«Le jour où l'Académie française mettra le chevalier dans le dictionnaire, j'aurai gagné ma bataille, lance M. Koby Véro. Je ne sais pas si je verrai ça de mon vivant. Mais l'important, c'est que ça se fasse. Et ça va se faire. Comme c'est parti là, ça ne peut plus s'arrêter. Vous savez, Vivaldi a été redécouvert bien des années après sa mort. Ça pourrait très bien arriver au Chevalier de Saint-Georges.»

Le Cénacle du Chevalier de Saint-Georges, ce soir 20h à la salle Oscar-Peterson (7141, rue Sherbrooke Ouest). Informations: 450 672-7081.

 

Seulement 4%

Univers blanc par excellence, la musique classique n'a jamais fait une grande place aux Noirs. En fait, on les compte sur les doigts d'une main. Outre le Chevalier de Saint-Georges, on pense surtout à l'Afro-Brésilien José Mauricio Nunes Garcia (1767-1830) et au compositeur afro-américain William Grant Still (1895-1978), qui accumula un nombre record d'enregistrements. «Aujourd'hui, les Noirs commencent à prendre leur place dans le mainstream du classique, souligne Bill Zick, du site Africlassical.com. Cela a pris du temps, mais c'est en train de se faire.» Il y a encore loin de la coupe aux lèvres, ajouterons-nous. À l'heure actuelle, seulement 4% des musiciens classiques en Amérique seraient Noirs...