On se serait cru dans un opéra italien du XIXe siècle vendredi dernier, à Manchester. Les femmes arboraient leur plus belle robe, et les hommes, leur plus beau complet pour la première de Prima Donna, au Palace Theatre.

Et comme à l'époque de Verdi, le compositeur a été acclamé comme une star. Rufus Wainwright n'a pas raté son arrivée dans le hall d'entrée; redingote et boucle de soie, chapeau haut de forme et canne à la main, il était justement costumé comme le célèbre compositeur d'Aïda.

Le compositeur était accompagné de son copain, l'Allemand Jorn Weisbrodt, costumé quant à lui en Puccini. Ébloui par les flashs des paparazzis et des fans, le couple dandy a provoqué une commotion jusqu'à ce qu'il disparaisse dans l'auditorium.

Les attentes étaient élevées. Le premier opéra de Rufus Wainwright a reçu une énorme couverture de presse ces derniers mois, du Guardian jusqu'au Vogue britannique. La BBC a même réalisé un documentaire à ce sujet, diffusé la semaine dernière.

L'heure de vérité était ainsi arrivée vendredi. Le public a applaudi d'excitation dès l'extinction des lumières.

La première scène s'ouvre sur Régine Saint-Laurent, sorte de mi-Maria Callas, mi-Norma Desmond, hantée par les cauchemars et la perspective d'un retour sur scène. Elle fait les 100 pas dans son appartement, où a lieu d'ailleurs toute l'intrigue de cet opéra intimiste.

L'élégante soprano britannique Janis Kelly interprète avec passion cette cantatrice en déclin dont la rencontre avec un journaliste bouleversera ses plans de retour sur scène.

Rufus Wainwright avait d'abord pensé confier le rôle-titre à Kiri Te Kanawa, mais le registre vocal impressionnant et le talent dramatique de Janis Kelly seyaient parfaitement.

Et la musique? Les arrangements de Rufus Wainwright étaient raffinés, à mille lieues de la simplicité pop. De toute évidence, il s'était complètement immergé dans l'univers de l'opéra, celui des romantiques du XIXe siècle.

Livrant une ode à l'art lyrique, Wainwright a fait un grand clin d'oeil à Madame Butterfly, introduisant une geisha comme personnage secondaire. C'est Puccini qui a dû se retourner dans sa tombe!

À la tombée du rideau, la distribution a été accueillie par des applaudissements et des «bravos». Et lorsque Rufus Wainwright est arrivé sur scène, l'auditoire l'a chaudement ovationné. Le jeune homme était visiblement transi d'émotion.

Complexe mais inégal

À la sortie de l'opéra, ses admirateurs avaient l'oeil brillant. «J'ai beaucoup aimé, dit John Hart, fan d'opéra et du chanteur. Je n'ai pas reconnu sa musique pop. Ça aurait pu être écrit il y a 150 ans.»

Liz Berry, 18 ans, n'avait pas été rebutée par le livret en français. «Ça coulait bien. Ça m'a donné envie d'améliorer mon français», a dit la jolie blonde.

Du côté des critiques, le ton était moins élogieux. Le Guardian et le Times ont accordé de bonnes notes, trois étoiles pour le premier, quatre pour le second.

«La partition de Wainwright, riche en mélodies, est beaucoup plus complexe que prévu», écrit Richard Morrison dans le Times.

Pour l'Independent, l'intrigue manquait cruellement de chair. Même constat du côté de Bloomberg. Tout en saluant des «touches inspirées» et des passages «d'une beauté désarmante», le New York Times a conclu à un opéra inégal.

Rufus Wainwright savait que les critiques d'opéra l'attendaient de pied ferme, comme il l'a révélé à La Presse en juin.

«C'est certain qu'il y a un snobisme dans le milieu, opine Josh Spero, critique culturel pour le webzine Spear's. De mon côté, j'ai été ému par Prima Donna. Les critiques auraient aimé cet opéra... s'il avait été exceptionnel.»