Kent Nagano couronnait la 75e saison de l'Orchestre Symphonique de Montréal hier soir avec, comme pièce de résistance de fin de programme, cette intégrale de près d'une heure de Daphnis et Chloé qui fait partie de l'histoire de l'orchestre. Charles Dutoit, l'éminent prédécesseur de Nagano à ce pupitre, en signa en effet, en 1980, un enregistrement qui marqua l'entrée de notre orchestre sur le marché international du disque.

Du même Ravel, Dutoit donna aussi plusieurs fois en concert avec l'OSM l'intégrale, ou tout au moins la deuxième suite. Dutoit avait une façon presque magique de faire sonner et bouger cette musique, une façon qui rappelait les géants Monteux (le créateur), Munch ou Rosenthal. Où placer Nagano dans cet univers? La question ne se pose même pas. Avec Nagano, on entend le vent, la mer, les oiseaux, comme dans un film, et le vaste choeur mixte, au fond de la scène, sonne comme un orchestre à lui seul. Ce n'est pas mauvais, c'est autre chose, avec quelques éléments de la façon Dutoit: la flûte de Hutchins, le cor-anglais de Plante.

En début de programme, le baryton belge José van Dam chante les deux Don Quichotte: celui de Jacques Ibert et celui de Ravel. Les deux recueils furent destinés au cinéma, mais c'est celui d'Ibert qui fut choisi. Chaliapine, qui jouait le personnage à l'écran, a gravé le groupe de quatre mélodies en 1933. Bien que Chaliapine fût basse, Ibert exploite peu le grave de la voix. M. van Dam, qui est baryton, s'y trouve donc à l'aise.

Il a chanté avec sa correction habituelle, une diction impeccable et une voix de 68 ans encore solide. Il a montré la même souplesse dans le Ravel, assorti d'un accompagnement tour à tour tendre et coloré. Déception plus tard cependant: le chanteur n'avait retenu que trois des six Nuits d'été de Berlioz. On sait maintenant que le compositeur les destina à des voix différentes. Une seule mélodie est effectivement pour baryton. M. van Dam l'ignora et en choisit trois autres, qui sont pour mezzo-soprano ou ténor. Du reste, il ne les interpréta pas: devant son lutrin, il en fit une sorte de première lecture - deuxième, peut-être, puisqu'il les avait chantées mardi soir.

Programme complété par deux pièces brèves d'un compositeur canadien inconnu, Samy Moussa, placées à deux endroits différents du programme. La brièveté n'est pas la seule qualité ici. Ce jeune Moussa invente des sons nouveaux, ce qui n'est pas si courant, même en musique dite actuelle.

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ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL et CHOEUR DE L'OSM (dir. Michael Zaugg). Chef d'orchestre: Kent Nagano. Soliste: José van Dam, baryton. Hier soir, salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Série «Grands Concerts». Programme: Chansons de Don Quichotte (1932) - Ibert Gegenschein, étude no 3 (2009) (création) - Moussa Don Quichotte à Dulcinée (1932) - Ravel Zodiakallicht, étude no 4 (2009) (création) - Moussa Trois extraits des Nuits d'été, op. 7 (1834-56) - Berlioz Daphnis et Chloé, version intégrale, avec choeur (1909-12) - Ravel