Tirer le meilleur de Québec, en présenter le meilleur. Voilà une façon de résumer la démarche de Bernard Labadie, fondateur et directeur musical des Violons du Roy, dont la spécialisation dans le répertoire du 18e siècle impose le respect sur la planète classique. En plus diriger plus de la moitié des programmes de son orchestre de chambre, le musicien jouit d'une réputation enviable sur le circuit international des chefs invités.

Samedi à la salle Claude-Champagne sera présenté le premier de quatre concerts montréalais des Violons du Roy cette saison. Avant de venir à Montréal, Bernard Labadie a été joint à Québec pour en présenter la matière. «Nous avons invité le Norvégien Truls Mork, pointure du violoncelle sur la scène internationale. Mork a une discographie assez élaborée, mais si l'on fait la nomenclature des concertos pour violoncelle et orchestre qu'il a enregistrés jusqu'à maintenant, ne figurent pas ceux de Carl Philip Emmanuel Bach», indique le directeur musical.

Ce concert est aussi lié à un projet d'enregistrement pour Virgin Classics - sur la même étiquette, les Violons du Roy ont déjà enregistré avec la mezzo soprano américaine Vivica Genaux. Le concert de Montréal sert ainsi à préparer l'enregistrement des mêmes concertos du fils Bach; l'opération sera menée du 24 au 27 novembre dans le superbe amphithéâtre du Palais Montcalm dont Les Violons du Roy sont les principaux résidants. L'album devrait être lancé au courant de l'année 2009.

«Les deux concertos de Carl Philip Emmanuel Bach, rappelle l'interviewé, sont parmi les premiers écrits pour le violoncelle. Parce qu'ils datent du tout début du 18e siècle, ils préfigurent les premiers concertos de Haydn. Le style de Carl Philip Emmanuel, il faut dire, est très différent de celui de son père : plus expressif, plus théâtral, moins complexe, marqué par des ruptures d'atmosphères et des contrastes dynamiques importants. Ce style a d'ailleurs été repris par les premiers compositeurs de l'époque classique.

«Les deux symphonies de Haydn (no 58 en fa majeur et no 59 en la majeur) appartiennent à cette même époque. Donc il y a une cohérence dans ce programme, car tous les éléments de ce concert appartiennent à la même mouvance esthétique. Ces symphonies de Haydn font partie de cette première vague de symphonies innovatrices, elles ont eu un impact très important sur le développement du genre.»

Ce qui distingue les Violons du Roy, souligne leur directeur artistique, tient d'abord dans cette spécialité dans le répertoire du 18e siècle.

«Ce qu'il y a de particulier dans notre façon de le faire, c'est dans le renouveau de l'interprétation de la musique ancienne, c'est-à-dire avec des instruments classiques modernes et des archets anciens qui ont une forme convexe au lieu d'être concave, qui sont plus légers et comportant moins de crin. La légèreté de l'archet permet une articulation plus précise; on gagne en précision et en clarté d'articulation ce qu'on perd en puissance. C'est un mélange d'ancien et de nouveau, nous sommes l'un des rares ensembles à procéder ainsi.»

Depuis quelques années, souligne en outre Labadie, Les Violons du Roy ont élargi le spectre de leur répertoire. Notamment avec le premier chef invité Jean-Marie Zeitouni qui a dirigé l'ensemble avec musiques de Bartok et Piazzolla sans compter Diane Dufresne avec qui l'ensemble s'est produit. Contribue également à cette ouverture un chef en résidence, Airat Ichmouratov, qui est aussi clarinettiste au sein de l'ensemble Kleztory.

En février prochain l'ensemble de Québec fera une tournée américaine de six concerts avec la Water Music de Handel, notamment à Los Angeles. «Dans le marché américain, nous sommes très connus, plusieurs sociétés de concerts ont aidé à nous faire découvrir. En Europe, nous travaillons aussi régulièrement.»

Non seulement les Violons du Roy ne cessent de ratisser tous les marchés de la musique classique, mais encore Bernard Labadie est devenu une marque à lui seul, c'est-à-dire en tan que chef invité. D'où les honneurs pour l'ensemble de sa contribution au genre : doctorat honorifique de l'université Laval en juin dernier, National Art Award du Centre d'art de Banff au printemps, auquel s'ajoute un Félix de l'album classique de l'année (orchestre et grand ensemble), pour le superbe Water Music de Handel.

«Il faut dire que nos disques ne sont pas éligibles aux Félix depuis très longtemps, car nous avons été longtemps avec une étiquette américaine - Dorian. Au cours de cette période nous avons gagné deux prix Juno. Nous enregistrons désormais pour Atma, une maison québécoise, ce qui a rendu quatre de nos albums admissibles à l'ADISQ.»

Si Labadie sort régulièrement de Québec, on ne sort pas Québec de Labadie, résidant «de souche aux racines profondes» pour le citer. Effectivement, il a fait la quasi totalité de ses études musicales à Québec, il y a fondé les Violons alors qu'il n'avait 21 ans. Qui plus est, il a dirigé l'Opéra de Québec de 1994 à 2003, et l'Opéra de Montréal de 2004 à 2006.

Chef itinérant près de la moitié de l'année durant, Bernard Labadie vient de passer trois semaines en Australie. En décembre, il dirigera le Messie de Handel à Denver avec le Colorado Symphony and Chorus et ensuite à Vancouver avec Vancouver Chamber Choir and CBC Vancouver Chamber Orchestra.

Il reviendra par la suite à Québec et Montréal pour diriger la Messe de Minuit de Charpentier avec les Violons du Roy et La Chapelle de Québec. En septembre 2009, il sera au Metropolitan Opera, avant quoi il dirigera aussi le Boston Symphony, le Toronto Symphony, le New World Symphony de Miami, le Los Angeles Philarmonic, le Northern Sinfonia (New Castle), le Britten-Pears Orchestra de Grande-Bretagne, le San Francisco Symphony, le Chicago Symphony, le Malaysian Philarmonic.

«C'est un autre défi, une autre approche, croit le chef. Je travaille beaucoup avec des orchestres symphoniques qui cherchent à se réapproprier le répertoire du 18e siècle avec des instruments modernes. Je suis bien placé pour aider des orchestres.»

On aura saisi que Bernard Labadie a réussi à créer un véhicule puissant en plus de faire valoir son expertise à travers le monde. Son attachement à Québec n'en demeure pas moins fort.

«Les Violons du Roy sont installés dans un marché stimulant mais relativement restreint au plan de la taille économique. Pour moi, il demeure important de rester à Québec, je suis bâtisseur de nature. Nous sommes une société jeune où il y a de la place; on serait à Vienne, il serait très difficile d'y implanter un 16e orchestre de chambre !»

Cependant, Bernard Labadie croit que l'enracinement de la musique classique au Québec pose des difficultés au plan de son financement.

«Nous devons envisager deux modèles : le modèle d'État à l'européenne et le modèle privé à l'américaine, qui implique un régime fiscal très différent du nôtre. Malgré tout, nous vivons dans une société où il y a moyen de créer des choses. Il n'y a pas de saturation. C'est pourquoi je ne me vois pas ailleurs qu'à Québec... en autant que je puisse m'en éloigner régulièrement.»

Les Violons du Roy et le violoncelliste Truls Mork se produisent ce soir, 20h, à la salle Claude-Champagne.