Sauf de (très) rares exceptions, aucun ensemble autre que celui de Philip Glass a enregistré sa musique. Parmi ces rares exceptions, il y a cette formation de Montréal: La Pietà, dirigée par la violoniste Angèle Dubeau, dont le Portrait (de Glass, étiquette Analekta) sera en magasin mardi.

Plusieurs créateurs pop se disent profondément marqués par le compositeur Philip Glass, de notre très doué Patrick Watson à l'Israélienne Keren Ann à qui l'on doit de grandes chansons popularisées par Henri Salvador. La musique du musicien new-yorkais passe l'épreuve du temps, du moins semble-t-elle trouver un nouvel élan par les temps qui courent.

 

Avec La Pietà, Angèle Dubeau a dressé un portrait musical du compositeur, dont le minimalisme des débuts ne peut illustrer l'ensemble de l'oeuvre: ouverture de La Belle et la bête (opéra multimédia créé en 1994), trois mouvements de The Hours Suite (pour piano, cordes, harpe et célesta, créé à partir de la trame sonore du film The Hours), six extraits de la musique du film Mishima: A Life In Four Chapters (à l'origine créée pour un quatuor cordes, qu'a déjà interprété le Kronos Quartet), quatre mouvements et un extrait de Company (créée en 1983 pour la troupe de théâtre Mabou Mines), voilà le répertoire au menu de ce Philip Glass: Portait d'Angèle Dubeau et La Pietà.

«Cette musique m'impressionne depuis les années 80, à l'époque où l'imprésario Mario Labbé invitait Philip Glass à se produire à Montréal. À New York, j'avais aussi assisté à l'avant-première de 1000 Airplanes on the Roof... Ça fait longtemps que cette oeuvre me fascine», explique la violoniste. Et puisque Mario Labbé et Angèle Dubeau forment un couple depuis cette époque, la musicienne a fait personnellement la connaissance du compositeur.

«Lors d'un passage à Montréal, il m'avait suggéré de travailler avec lui son Concerto pour violon, qu'il avait d'abord composé pour Gidon Kremer. Deux ou trois ans plus tard, il m'avait finalement invitée chez lui afin d'ajuster ce concerto en prévision d'une présentation avec l'Orchestre symphonique de Québec. C'est alors que nous avons appris à nous respecter, à nous faire confiance.»

Une oeuvre entière à explorer

Les années ont passé, Angèle Dubeau espérait faire un disque complet de Philip Glass, mais le Concerto pour violon ne suffisait pas - environ 25 minutes. Lorsque la Pietà fut fondée, il y a 11 ans, l'idée d'un album de Philip Glass est revenue sur le tapis. Pour la violoniste et directrice de l'ensemble, cela représentait un travail de longue haleine, il fallait explorer l'oeuvre entière de Glass et aussi repérer tout ce qu'il avait composé pour cordes et piano. L'idée se concrétise enfin.

«La musique de Philip Glass est toujours enregistrée par son ensemble, dirigé par Michael Riesman. Sauf pour Gidon Kremer et le Kronos Quartet, c'est donc la première fois que Glass donne l'autorisation à quelqu'un de l'extérieur de son organisation afin qu'il puisse enregistrer un portrait de son oeuvre» souligne Angèle Dubeau, non sans fierté.

«Notre contribution à sa musique? Avoir élargi la palette de couleurs dans l'interprétation respectueuse de son oeuvre. Mishima, par exemple, avait d'abord été écrit pour un quatuor, nous l'avons reprise; il me semblait que ça donnerait du «oumfh» si je réussissais à adapter cette pièce pour La Pietà. Mes musiciennes n'avaient jamais joué Philip Glass, il faut dire. Ce n'était pas évident au début! Maintenant, elles prennent un plaisir fou à jouer cette musique.»

Musique envoûtante

Inutile d'ajouter qu'Angèle Dubeau s'inscrit en faux contre les détracteurs du compositeur américain, dont l'approche répétitive a déjà été dénigrée.

«Les mauvaises langues diront que du Philip Glass, c'est toujours pareil, toujours la même cellule musicale qui se répète en boucle. Ce qui est totalement faux. Bien sûr, il y a une certaine retenue dans sa musique, ce n'est pas l'élan romantique, c'est très proche du mantra en ce sens. Non, je ne crois pas que l'on puisse rester insensible à Philip Glass, un compositeur qui est allé au bout d'un concept original, et dont on retrouve partout la signature.»

Comme l'écrit la pianiste Lucie Renaud dans les notes de Portrait, la notion de temps dans la musique de Glass est singulière: elle se pose «non plus comme une continuité, mais plutôt une succession d'instants qui se jettent les uns dans les autres, sans relation de cause à effet.»

«L'écriture de Philip Glass, pense en outre Angèle Dubeau, est brillante et structurée. Rien n'y est laissé au hasard. La structure est là, et si tu en retires un seul fragment, tout s'effondre. C'est loin d'être la petite boucle qu'on répète. Il y a une certaine neutralité dans le son, c'est vrai, mais cela demeure absolument envoûtant.»