Petites mains précieuses est le sixième album d'Ariane Moffatt en 16 ans. La chanteuse nous a parlé de ce disque à travers les objets qui meublent le studio où elle a travaillé ses nouvelles compositions en compagnie de son bébé naissant. Un beau voyage au pays de la création.

Le petit livre rouge

«J'ai commencé à écrire dans ce carnet que ma blonde m'a offert alors que je venais d'accoucher. Ce n'était pas dans le but de faire un album, mais plutôt d'extérioriser cette émotion: l'arrivée prématurée de bébé, moi qui faisais une prééclampsie et qui était sur le magnésium pour ne pas convulser...»

Ariane Moffatt l'avoue, elle a eu «une petite frousse», elle qui s'était toujours considérée dans la catégorie «intouchable et immortelle».

«Ça m'a shakée. Ce livre prouve à quel point le processus d'écriture est relié à la naissance de Georges. Il a servi à exprimer ce que je sentais, pour ne pas créer d'embouteillage à l'intérieur de moi.»

Quatorze mois plus tard, la mère et le fils se portent parfaitement bien... «Et là, je sors un album. Il y a une partie de moi qui n'a pas encore computé tout ça!»



Photo Ivanoh Demers, La Presse

«J'ai commencé à écrire dans ce carnet que ma blonde m'a offert alors que je venais d'accoucher», dit Ariane Moffatt.

Le siège de bébé

Pendant deux mois, l'automne dernier, alors que son bébé venait de naître, Ariane Moffatt a créé les chansons de Petites mains précieuses.

«Je n'étais pas sous pression, je n'avais pas de deadline. J'ai pris ce petit siège prêté par nos voisins qui ont eu quatre enfants et j'ai dit: ‟je vais l'emmener, je vais essayer".»

Elle a ainsi créé au rythme du nourrisson et ne l'a pas regretté un seul instant. «J'ai vécu des moments incroyables, tellement précieux.»

Quand a-t-elle su qu'elle commençait à avoir un album entre les mains? «À la fin du mois de novembre, j'avais 12 chansons. Alors je me suis dit que si je voulais mettre les choses en place, je devais regarder un peu plus loin.»

Elle a donc réservé le réalisateur Philippe Brault et les musiciens avec lesquels elle voulait travailler pour le mois de mars.

«Tout était réglé pour la Saint-Jean, et on a pu passer l'été en famille, la tête reposée.»

Photo Ivanoh Demers, La Presse

Pendant deux mois, Ariane Moffatt a créé au rythme de son bébé. Elle ne l'a pas regretté un seul instant.

Grace Jones et Nina Simone

«Je passais devant une petite boutique du Mile End et quand j'ai vu ces regards, je n'ai pas résisté. Pour moi, Grace Jones et Nina Simone sont des femmes très fortes, des artistes importantes dans leur aplomb, leur différence, ce qu'elles proposent.»

Elles sont devenues comme «deux mères» qui veillent sur la chanteuse. «Leur expression, ça fouette! dit-elle en rigolant. J'aime aussi le côté sacré dans la chandelle. On est souvent seul en studio, c'est le fun d'avoir des amis.» 

Petites mains précieuses parle d'ailleurs beaucoup des femmes - la chanson La statue, par exemple, fait référence à la vague #metoo et honore «les femmes puissantes et inspirantes, fragiles et fortes».

«C'est ce que je suis dans cet album. Je ne veux pas que ce soit un slogan, c'est un album rythmé, affirmé, puissant, mais qui comporte aussi des parties fragiles et intimes.»

Photo Ivanoh Demers, La Presse

Pour Ariane Moffatt, «Grace Jones et Nina Simone sont des femmes très fortes, des artistes importantes dans leur aplomb, leur différence, ce qu'elles proposent.»

Le micro

Quand on lui dit qu'on entend une émotion nouvelle filtrer de ses chansons, Ariane Moffatt sourit: c'est justement ce qu'elle voulait qu'on retienne.

«J'ai voulu écrire des chansons plus chansons, avec des thématiques plus universelles. Et oui, j'ai essayé de transmettre des émotions le plus fidèlement possible dans l'interprétation.»

C'est faisable, dit-elle, en ne bricolant pas trop et en acceptant de ne «pas être trop clean»... même si elle est perfectionniste et aime les choses bien produites.

«C'est un combat avec moi-même tout le temps. Tant mieux si on peut ressentir l'émotion, j'étais dans une période très à fleur de peau, et il fallait que ça témoigne de ça.»

Les prises de son ont été faites tout près du micro, explique-t-elle, ce qui permet de ressentir chaleur et intimité. «C'est ce qui est beau quand la technique rencontre l'instinct.»

Photo Ivanoh Demers, La Presse

Les prises de son de Petites mains précieuses ont été faites tout près du micro, explique Ariane Moffatt, ce qui permet de ressentir chaleur et intimité.

La maschine

Toute la programmation des rythmes se fait sur cette mystérieuse Maschine.

«Souvent, quand j'arrive au studio, je ne sais pas par où commencer et je me lance avec ça. Je m'invente beatmaker. C'est jubilatoire de partir sur un rythme, c'est un point de départ, une énergie pour commencer à chercher.»

Parlant de rythmes, ceux de Petites mains précieuses sont clairement d'inspiration disco, soul et funk. «Je suis beaucoup allée chercher dans les années 70, mais aussi dans les années 90.»

Pour y arriver, elle a d'abord écrit ses chansons seule, avant d'entrer en studio avec les musiciens pour deux semaines d'enregistrement.

«Après, on est revenus ici pour créer l'aspect néo-seventies. On a produit ça pour avoir de l'électro, des effets, et en faire quelque chose de contemporain, actuel et personnel.»

Photo Ivanoh Demers, La Presse

Toute la programmation des rythmes de l'album s'est faite sur cette mystérieuse Maschine.

Le piano

Ariane Moffatt a fait déménager son piano en studio parce qu'elle aimait le «son feutré et les touches super douces» du vieil instrument remis à neuf.

«C'est important, l'instrument sur lequel tu composes, avec lequel tu communiques, dit-elle. J'ai voulu faire des chansons plus travaillées dans la composition, quand il n'y a rien encore.

Dans ce temps, on peaufine plus l'aspect songwriting, il y a une autre façon de faire les accords. Le piano était comme un pilier dans la compo, alors que sur 22 h 22, c'était plus les beats.»

Photo Ivanoh Demers, La Presse

Ariane Moffatt a fait déménager son piano en studio parce qu'elle aimait le «son feutré et les touches super douces» du vieil instrument remis à neuf.

La statuette indienne

Ariane Moffatt a rapporté cette statuette de l'Inde peu après la sortie de son premier album, Aquanaute, en 2002. «Elle a toujours été là. C'est la divinité de la créativité.»

Aurait-elle peur de perdre sa touche créatrice? «Oui! C'est pour ça que je n'ai pas été capable de tourner le dos à cet élan, même si c'était dans un moment où c'était moins facile à suivre. Ce sont des voeux renouvelés à chaque album.

Pour la création, mais aussi tout le reste... faire un album, mettre mes tripes sur la table, convaincre qu'il est bon, tout ça... En même temps, je reste passionnée, quand ça repart, je dis ‟yes"!» Si elle doute chaque fois, elle s'estime chanceuse d'être encore là après 20 ans et six albums.

«J'en connais la valeur. On peut vivre des osties de blessures dans ce métier. C'est tellement relié à ta sensibilité, ton être, tu peux être jeté du jour au lendemain et oublié.»

Photo Ivanoh Demers, La Presse

Ariane Moffatt a rapporté cette statuette de l'Inde peu après la sortie de son premier album, Aquanaute, en 2002.

La photo

Cette photo qu'Ariane Moffatt nous a donnée représente parfaitement les deux mois qu'elle a passés en studio avec son bébé. Si ces moments ont été magiques, elle avoue avoir été souvent déchirée.

«Je trouvais que ça n'avait pas de bon sens, mais j'étais mue par ce mouvement. Ça demandait une adaptation, mais je ne pense pas que j'aurais été capable de passer un an sans créer, en restant à la maison tout le temps.»

La chanteuse aime parler de la maternité et de ses enjeux, comme de la manière dont elle et sa conjointe adaptent leurs carrières respectives en fonction de leurs trois enfants. Par exemple, plus question de s'absenter pour de longues tournées.

«Je vais partir une fin de semaine sur deux, ce sera plus long et moins intense. C'est une fierté d'essayer de réussir à porter les deux. C'est comme si la deuxième partie de ma carrière était de réussir à faire fonctionner ça ensemble. Je trouve ça le fun

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Chanson, Petites mains précieuses, Ariane Moffatt, Simone Records. En vente vendredi.

Photo fournie par Ariane Moffatt

Cette photo qu'Ariane Moffatt nous a donnée représente parfaitement les deux mois qu'elle a passés en studio avec son bébé. Si ces moments ont été magiques, elle avoue avoir été souvent déchirée.