Cheveux courts, blouson serré, visage gamin sans trace de maquillage, petit corps musclé sans une once de graisse, Héloïse Letissier, alias Christine and the Queens, m'attendait dans la pénombre de sa loge au sixième étage du Rockefeller Center. C'était en juin dernier à New York. Dans quelques heures, la chanteuse française, cette «little French thing» comme elle se décrit parfois, allait fouler le plateau du Late Night de Jimmy Fallon pour la deuxième fois. Elle y chanterait Girlfriend, le premier extrait de Chris, un album de chansons jumelles, chaque chanson en français ayant son équivalent en anglais, le tout teinté de G-Funk, ce sous-genre du hip-hop de la côte Ouest, pimenté de grooves mélodiques funk.

Ce jour-là, j'avais exactement 20 minutes pour confesser la belle enfant de 30 ans et découvrir si le Chris qui apparaît sur la couverture de l'album qui sort vendredi est un nouveau prénom, un nouveau personnage, une mutation allégorique ou le signe que la chanteuse queer de Chaleur humaine, son premier album, est en transition.

Christine sourit d'un air entendu avant de répondre: «Moi, je n'ai pas changé de discours depuis le début de ma carrière, mais ce qui est drôle, c'est que le signe extérieur de se couper les cheveux a créé mille fois plus de fantasmes dans la tête des gens alors que sur mon premier album, il y a la chanson It qui parle littéralement d'avoir une bite, mais personne n'a rien dit peut-être parce que j'avais les cheveux longs et des signes extérieurs de féminité. Mais bon, je trouve ça hyper intéressant que le trouble s'installe aussi vite pour les gens. Ça m'amuse de jouer avec ça, c'est jouissif même, mais ce que j'explore, c'est la fiction d'une femme puissante et non, je ne suis pas en transition, c'est très clair dans ma tête.»

Respirez tout le monde: Christine a bel et bien l'intention de demeurer une femme malgré sa coupe garçon et ses airs de débardeur sur le clip de Girlfriend. Mais une femme puissante comme le commandant Ripley dans Alien, qui l'a inspirée. 

«Avec ce deuxième album, j'avais envie de tordre les mythologies machistes, mais à mon avantage. C'est un album qui parle de désir et de puissance et oui, cette femme est inspirée d'un modèle machiste parce que tant qu'il y aura le patriarcat et qu'on sera dans des systèmes étriqués, je vais utiliser ces systèmes étriqués et me les approprier.»

Christine parle d'abondance avec, à la fois, une réflexion et une candeur assez rares chez les pop stars. Et c'est normal dans la mesure où Héloïse, alias Christine, n'est pas un cliché de pop star qui se la joue ou qui se prend la tête. C'est d'abord la fille de deux professeurs de Nantes qui a elle-même fait des études en littérature et en théâtre, entrecoupées de dix ans de ballet classique et de cinq ans de danse moderne. Elle aurait pu devenir danseuse. Elle en avait certainement le talent, comme en témoignent toutes ces sublimes chorégraphies sur scène ou dans ses clips. Mais elle avait des choses à dire et voulait les dire à travers des textes poétiques où amour ne rime jamais avec toujours.

«C'est hyper important pour moi de jouer avec la musicalité des mots et de faire groover le langage, mais en même temps, le sens est là, formulé sans doute de façon plus poétique, même si ça fait un peu prétentieux. Disons que je n'ai pas une langue très immédiate, un peu à la manière d'Alain Bashung que j'aime beaucoup. Une chanson de Bashung, tu la comprends mais elle change de sens quand tu vieillis ou alors que t'es énervée», explique-t-elle de sa voix douce.

Minimalisme

Le minimalisme demeure le grand leitmotiv de cette artiste qui, depuis quatre ans, enchante les publics un peu partout. Minimalisme dans sa présentation scénique, sans maquillage, sans effets. Minimalisme dans sa musique coulante et mélodique. «J'aime l'idée d'être sur scène sans me cacher. Et ce n'est pas un jugement de valeur sur les autres artistes. C'est juste que moi, je me retrouve quand j'ai rien à cacher et que je suis sur scène avec mes muscles, ma voix, mon visage quasiment pas maquillé, rien d'autre. Faut pas oublier qu'avant la musique, je venais du théâtre. Je crois beaucoup à l'instant présent de la performance. Comme un boxeur sur un ring.»

Elle poursuit: «Le personnage que je suis sur scène, ce n'est pas un masque. Il est très proche de moi. En fait, il est ce que j'aimerais être dans la vie. Mais dans la vie, j'ai beaucoup d'insécurités et de filtres sociaux alors que sur scène, j'ai l'impression d'être moi-même.»

Pour le deuxième album, Christine a tout mitonné elle-même sur son ordi à Paris avant de s'envoler à Los Angeles rencontrer Dâm-Funk, un grand Black pionnier du G-Funk qui a accepté de collaborer à un album mixé par le célèbre Manny Marroquin, mixeur de Kanye West, Rihanna, Alicia Keys, etc. 

Christine voulait un album de son propre aveu plus «pêchu». Traduire: plus musclé, incarné, agressif, comme si elle cherchait, à travers ce nouveau groove, à dépasser «la little French thing» ou à la remplacer par un modèle plus assumé, plus viril et plus puissant. 

Mais lorsque je lui fais remarquer que ce deuxième album est quand même pas mal plus doux que tout ce que les Kanye West et autres rappers américains peuvent produire, elle soupire d'une manière presque comique.

«Je sais! J'y arriverai jamais. J'ai l'énergie d'une licorne. On dirait que c'est plus fort que moi. Je suis là en train d'écrire et je me dis, ça va être dark, mon truc, mais j'y arrive pas. Y a toujours quelque chose de lumineux qui se glisse dans ma musique même quand je suis déprimée.»

«Doux», «lumineux», «mélodique», voilà des mots qui collent bien à la musique de Christine, mais mettez-la sur la même scène que Madonna, comme ça s'est passé à Bercy en 2015, et la danseuse en elle ne s'en laisse pas imposer. Christine raconte avoir été flattée d'apprendre que Madonna s'était inspirée du clip de la pièce Saint-Claude et qu'elle avait engagé le même duo de réalisateurs. L'invitation à Bercy de Madonna fut probablement une façon de se dédouaner face à Christine... qu'elle n'a cessé d'appeler Christina.

«Oui, mais ça, c'est Madonna. Y a un truc chez elle qui fait qu'elle ne supporte pas de ne pas être celle qui domine. Je trouve son énergie très inspirante. Elle dégage une grande puissance et ne s'en excuse pas. J'aime bien Madonna pour ça... Mais bon, j'étais là et j'y serai encore dans cinq ans», lance-t-elle avec une pointe de doux défi dans sa voix, l'air de dire - à raison - «l'avenir m'appartient, Madonna n'a qu'à bien se tenir».

PHOTO RYAN PFLUGER, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

La chanteuse Héloïse Letissier, alias Christine and the Queens, s'apprête à lancer son deuxième album, Chris.