Huit ans après s'être produite pour la première fois à Montréal, Charlotte Gainsbourg s'amène à Montréal pour deux spectacles très attendus à l'occasion du Festival international de jazz, les 26 et 27 juin. La Presse l'a interviewée avant la grande traversée. Elle s'est confiée notamment sur son long processus d'apprivoisement de la scène.

Jusqu'à la sortie de votre album précédent, IRM, en 2009, chanter sur scène n'était pas chez vous une pratique. Comment vous êtes-vous sentie lorsque vous avez donné vos premiers concerts ?

C'est vrai que sur les tournées qui ont suivi IRM, je n'ai pas eu un plaisir énorme. C'était plus pour le challenge de me jeter à l'eau que pour le plaisir réel que j'en ai tiré. Cela dit, c'était une vraie découverte : j'ai adoré les musiciens avec qui je chantais et le rapport avec le public, mais... j'avais trop le trac. Peut-être était-ce le fait d'avoir commencé très tard, relativement vieille, à chanter sur scène. J'avais peut-être le sentiment de devoir prouver que j'étais très professionnelle et... j'avais parfois l'impression de me mentir un peu à moi-même.

Y avait-il une pression supplémentaire étant donné vos antécédents familiaux ?

Le truc de mes parents ? Pour moi, ce n'était pas nécessaire de monter sur scène. Eux-mêmes l'ont fait tard dans leur carrière, alors que j'étais encore petite. Il m'a fallu 20 ans pour avoir envie de refaire de la musique, mais il n'était question que de faire un album studio avec Air [5:55 en 2006], et non de la scène. À l'époque, ça n'avait pas de sens. Mes parents ne m'avaient pas appris ça, je n'avais pas vraiment vu ça d'eux. 

Comment vous êtes-vous sentie lorsque vous êtes montée sur scène pour la première fois en 2010 ?

Ce fut une épreuve. Je le faisais avec beaucoup d'angoisse malgré quelques dates un peu magiques comme ce fut le cas à La Cigale de Paris, à l'Olympia de Montréal ou encore à Coachella - devant un nombre de spectateurs vraiment hallucinant. Et oui, c'est vrai que ma mère était sur le côté de la scène lorsque je me suis produite à Montréal. Des dates très spéciales où le public m'a portée. C'était plus facile d'assumer la chose, mais voilà, cela s'est produit en de rares occasions. Généralement, ce fut difficile.

Aviez-vous tourné longtemps ?

J'ai fait deux tournées, en fait. Quand j'ai fini IRM avec Beck, on m'avait conseillé de travailler avec son équipe. Et c'est vrai qu'ils étaient tous géniaux, ces jeunes musiciens, ç'a été un vrai soulagement. Beck n'était pas avec moi sur scène, mais il avait accepté de jeter un coup d'oeil et de rester très vigilant quant au son que j'allais avoir avec son groupe. Je me sentais donc épaulée. J'ai ensuite sorti un album live [Stage Whisper] grâce à cette première tournée pendant laquelle j'avais chanté quelques inédites.

Vous avez ensuite fait une deuxième tournée. Comment cela s'est-il passé ?

J'avais alors rencontré Connan Mockasin, nous avions décidé de faire un peu plus de chemin ensemble, soit de faire une petite tournée. Ce fut plus agréable, car j'avais l'impression de faire une activité entre amis, donc en oubliant un peu la pression professionnelle. Connan et moi étions devenus très proches, et c'est lui qui m'a poussée à écrire, en fait. Donc j'ai essayé de faire différemment les deux fois, et la deuxième a été plus facile parce que c'était plus amical, donc ça m'aidait.

Comment Connan fut-il impliqué dans le processus de l'enregistrement de Rest, votre plus récent album ? Et comment le processus s'est-il déroulé ensuite avec le réalisateur électro SebastiAn (Sébastien Akchoté), avec qui ont aussi collaboré Guy-Manuel de Homem-Christo (Daft Punk) ou même Paul McCartney, qui vous a fourni une chanson ?

Connan m'avait déjà incitée à créer. Nous étions allés à la campagne, complètement isolés, et c'est là que j'avais vu si j'arrivais à écrire des textes. Pour Rest, Connan a enregistré un titre avec moi. Puis SebastiAn est devenu mon compagnon de route, mon alter ego. Nous avons mis longtemps à comprendre comment nous allions travailler. Lorsque nous avons été vraiment lancés, c'est lui qui a mené le projet, réalisé les musiques, dont celle de McCartney qu'il a mise à sa sauce (Songbird in a Cage). Tout le projet fut ainsi chapeauté par SebastiAn. J'aime bien collaborer avec une personne comme lui, car j'aime que ce soit cohérent.

Les évocations directes ou indirectes à vos proches disparus, votre père Serge et votre soeur Kate, dans les chansons (Rest, Kate, Les Oxalis, etc.) font partie de la démarche créatrice des textes de cet album écrit en français et en anglais. Qu'en pensez-vous maintenant ?

Je voulais exprimer le deuil. J'avais besoin d'en parler, mais... à moi-même. Or, je n'avais pas l'intention de m'adresser directement aux gens. Je me sentais complètement meurtrie par rapport à ce que je traversais après le décès de ma soeur, j'ai convenu que les gens comprendraient que j'en parlerais. Ça ne m'a pas du tout gênée, en fait, je l'ai fait sans pudeur. De toute façon, les gens connaissent tout de ma famille, il n'y a pas beaucoup de secrets ! Je n'avais donc pas l'impression de faire des révélations démentes. J'ai le sentiment d'avoir été honnête avec moi-même.

Rest n'est quand même pas strictement un album de deuil, n'est-ce pas ? Comment le voyez-vous ?

Derrière moi, SebastiAn a ajouté de la pudeur et mis de la distance, avec notamment ces ambiances parfois inspirées de trames de films d'horreur ou de thrillers - North By Norhtwest, Jaws, Psycho, etc. Ce n'est donc pas un album larmoyant. J'ose croire que c'est plus dynamique que ça ! De plus, il y a des chansons où je ne sais toujours pas ce que les gens peuvent comprendre ; je ne me rends pas compte de ce qu'on saisit exactement, même si c'est très évident pour moi. En fait, je n'ai pas forcément cherché à rendre les choses très limpides. Par exemple, j'ai décidé d'intituler la chanson Kate lorsque SebastiAn m'a confié qu'il croyait que j'y parlais de mon père... et ça m'a gênée. Donc j'ai donné le nom de ma soeur à ce texte afin d'éviter toute confusion.

Comment tout cela se transpose sur scène, dans le contexte de cette nouvelle tournée ?

Nous avons conservé la structure musicale et le son de l'album. J'avais très envie que c'en soit le plus proche possible. SebastiAn nous a guidés dans les sons, les choix d'instruments et les sons synthétiques émis par l'ordinateur. Quant à moi, je me suis mise au piano, c'était important car c'était l'occasion de m'approprier les morceaux. À la voix, je voulais aussi être soutenue sur tous les morceaux par un choriste, Gérard Black, que j'adore. Il y a une guitare [David Nzeyimana], une batterie [Louis Delorme], des claviers et une basse [Paul Prier], un son de groupe tout en gardant l'univers de l'album. SebastiAn ? Il m'accompagne rarement. J'avais besoin qu'il chapeaute le tout, mais une fois qu'il a fait ce qu'il avait à faire, il s'ennuie, quoi ! [rires]

La matière du nouvel album constitue-t-elle le menu principal de cette tournée ?

Oui, nous jouons surtout cet album, mais aussi un morceau de 5:55, un autre d'IRM et deux titres que mon père avait faits pour moi - Lemon Incest, qu'il avait chanté avec moi, et un autre de mon album Charlotte For Ever, enregistré quand j'avais 16 ans. J'ai commencé à tourner il y a quelques mois avec cette nouvelle équipe. Là, on s'embarque dans les festivals, c'est une nouvelle phase que je trouve très excitante et nouvelle parce que... je n'avais pas su en profiter lors des tournées précédentes.

Doit-on comprendre que, désormais, vous vous sentez mieux sur scène ?

Oui ! J'ai eu très envie de recommencer l'expérience, sachant que ça pouvait être déchirant. Et, effectivement, j'ai adoré l'expérience. Pour la première fois, j'ai un plaisir que je n'avais jamais ressenti auparavant. Je me sens dans mon élément, je n'ai pas à faire semblant d'être quelqu'un d'autre. J'ai l'impression d'être beaucoup plus honnête par rapport à mon nouvel enregistrement, qui a pour moi une vraie valeur sentimentale. Je suis très heureuse de pouvoir le porter sur scène. J'en profite !

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Au MTelus, les 26 et 27 juin, à 20 h 30

Image tirée de l’internet

Rest de Charlotte Gainsbourg

Photo archives The New York Times

Beck et Charlotte Gainsbourg