En l'espace de quelques semaines, Hubert Lenoir, de son vrai nom Hubert Chiasson, jeune homme de 23 ans de Beauport, en banlieue de Québec, fils de deux fonctionnaires, est devenu le «darling» des médias québécois et la brise pop rafraîchissante du printemps 2018.

C'est arrivé sans crier gare, début février, à la sortie de l'album Darlène, lancé au Dagobert, là où le jeune Hubert aux traits fins, au rouge à lèvres vermeil et à la fesse tatouée d'une fleur de lys s'est déjà fait bousculer et traiter de tapette.

Au lendemain du lancement de l'album, doublé d'un roman du même titre et signé par sa bien-aimée Noémie D. Leclerc, Hubert s'attendait certes à un petit buzz autour du projet, mais certainement pas à la déferlante médiatique qui l'a catapulté du Dagobert au plateau de La voix en passant par ceux de Belle et Bum, des Échangistes, de Stéphane Rousseau et de l'émission Y'a du monde à messe. Autant de virevoltes qui ont fini par porter leurs fruits et par valoir à Hubert une invitation au Festival d'été de Québec le 11 juillet et, avant cela, aux Francos - mardi prochain - où il remplira le Club Soda à sa première prestation au festival montréalais, en programme double avec la Belge Angèle.

Les choses vont bien et vite pour ce curieux oiseau sorti du rang de la virilité pour embrasser l'androgynie et qui, le jour de son passage à La Presse, ne portait ni maquillage ni rouge à lèvres, mais un de ses complets signature du Village des valeurs.

Sous sa veste bleue, le mot «Québec», serti de paillettes d'or, clignotait discrètement. Suivant mon regard, Hubert a immédiatement tenu à préciser que son t-shirt faisait la promotion de la ville de Québec et non du Québec au complet, en me rappelant d'entrée de jeu d'où il venait et où il avait bien l'intention de rester, un séjour à Paris était pour l'instant plus probable qu'un déménagement à Montréal.

Il y a évidemment mille choses que je voulais savoir au sujet de ce gamin qui, par son audace, rappelle Xavier Dolan et, par son androgynie provocante, une foule d'icônes pop allant de Bowie jusqu'à Prince en passant par Boy George et une panoplie de stars du glam rock des années 70.

Mais ce qui m'intéressait avant tout, c'est la musicalité du jeune homme, son flair pour les mélodies accrocheuses et sa grande liberté de compositeur, comme en témoigne l'éclectisme débridé de Darlène où pop, jazz et pièces instrumentales se mêlent allègrement.

D'où lui vient donc cette oreille musicale certaine, qu'il a déjà déployée dans la pop beatlesque du groupe The Seasons, fondé par son frère Julien et auquel il a fini par se joindre alors qu'il n'avait que 17 ans? La question était relativement simple, mais la réponse le fut moins.

«D'où me vient mon côté musical? Je ne sais pas. Mes parents ne sont pas musiciens pour un sou. Je pense que je ne les ai jamais vus mettre un disque. Ma mère travaille au ministère des Transports, mon père est analyste informatique à l'Université Laval. Moi non plus, au départ, je n'étais pas porté sur la musique. J'étais plutôt un sportif, inscrit en sports-études à l'école du Mont-Sainte-Anne. J'ai fait de la compétition en ski acrobatique freestyle pendant mon adolescence jusqu'à ce que je me mette à fréquenter une gang plus artistique au secondaire.»

De ce que j'en comprends, la découverte du monde des arts a éteint la flamme sportive du jeune Hubert. Empruntant la guitare de son frère Julien, de trois ans son cadet, il s'est mis à composer des musiques et des chansons, même si, selon lui, la chanson, c'est dépassé.

Venant d'un gars qui vient d'être couronné Révélation chanson par Radio-Canada, c'est plutôt ironique.

«Je ne sais pas pourquoi on s'entête à perpétuer le mot "chanson" qui, à mon avis, est beaucoup trop restreignant. Quel jeune aujourd'hui a le goût de faire de la chanson à la façon de Félix Leclerc? Voyons donc! Moi, en tout cas, je préfère qu'on dise de moi que je fais de la musique franco plutôt que de la chanson.»

Que la chanson soit dépassée ou non, Hubert sait composer des chansons et des musiques qui se muent rapidement en vers d'oreille. «Ma plus grande source d'influence, c'est la culture pop. Ado, j'ai écouté toutes les stars de la pop sur MusiquePlus et à la radio. Et puis plus tard avec Spotify, j'ai découvert des artistes qui étaient populaires avant mon époque. De toute façon, les époques, ça n'existe plus depuis que toute la musique est accessible sur le Net.»

Bien que Hubert Lenoir, l'objet scénique et musical, soit né il y a à peine quelques mois, Hubert Chiasson, lui, roule sa bosse depuis une demi-douzaine d'années, notamment avec The Seasons qui, grâce à un contrat avec BMG France, a connu un beau succès en Europe entre 2012 et 2017. «C'est vrai qu'on a beaucoup tourné, surtout quand on faisait la première partie du groupe Louise Attaque, mais on n'a jamais fait une cenne avec ce groupe-là. On n'était pas payés pour notre peine», précise-t-il, en revenant sur un sujet qui semble l'obséder : l'argent.

«Si j'ai beaucoup parlé d'argent dans mes entrevues, c'est parce qu'il m'est souvent arrivé d'avoir 4,95 $ dans mon compte en banque, mais maintenant ça va mieux, fait que vous ne m'entendrez plus me plaindre.»

Hubert Lenoir a raconté mille fois la gestation de Darlène avec Noémie D. Leclerc, mais la version pratico-pratique, c'est que ses compositions se mêlaient mal au cadre musical de The Seasons. Il a donc été encouragé par son frère Julien et ses amis à en faire un album solo, auquel ils ont tous participé. En même temps, si Darlène a décollé aussi vite, c'est d'abord à cause du look d'Hubert, un look excentré et excentrique qui tranchait avec l'aspect barbe et bûcheron de bien des chanteurs populaires, les deux frères Caouette en tête.

«Des fois, j'aime ça, me maquiller comme n'importe quelle fille. J'ai beau ne pas être une fille, j'ai de la difficulté à m'identifier à la masculinité. À 15 ans, c'était pas clair, qui j'étais. J'avais des traits féminins et, sur la côte de Beauport, ça passait mal. Alors pour avoir la paix, je portais des cotons ouatés.»

Bien qu'il ait fait les frais de remarques désobligeantes et même d'altercations physiques, Hubert refuse de parler d'intimidation et de se présenter comme une victime.

«Je n'ai vraiment pas été traumatisé par ça, d'abord parce qu'au lieu de subir, je répondais beaucoup aux insultes. Et puis, j'ai beau être petit, je sais me battre. Ma tactique, c'est de frapper en premier puis de courir. Pour le reste, je trouve que l'orientation sexuelle, c'est une question très personnelle et intime. Dernièrement, le journaliste de Fugues voulait savoir si j'étais gai. J'ai pas su quoi répondre. La vérité, c'est que je n'ai jamais eu des relations homosexuelles, mais qui sait si j'en aurai pas un jour? Pourquoi toujours vouloir mettre les gens dans des cases?»

En musique comme en relations amoureuses, en mode comme en identité sexuelle, Hubert Lenoir refuse de se laisser enfermer dans la prison d'une définition, comme beaucoup de jeunes de sa génération. Il veut rester libre de faire ce qui lui chante au moment où ça lui chante. Il n'est pas sorti du rang par esprit de révolte. Il est sorti du rang tout naturellement, sans trop se poser de questions.

«J'essaie de rester vrai et de ne pas foncer dans un personnage», dit-il à la fin de l'entrevue. Venant d'un autre, cette remarque pourrait passer pour de la frime. Mais quelque chose me dit qu'Hubert Lenoir, cet oiseau rare au rouge à lèvres vermeil et à la fesse tatouée d'une fleur de lys, n'est pas un frimeur.