J'ai rencontré Corneille au Petit Extra, mardi matin. C'était encore fermé. Il n'y avait que nous et quelques serveurs qui préparaient les tables. Dans un coin, près d'une fenêtre, le chanteur avait le nez dans son portable. Il était occupé à écrire un texto. La tâche accomplie, il a levé les yeux vers moi et a pris le ton qu'on lui connaît depuis toujours: réfléchi et honnête.

J'étais là pour l'entendre parler de son septième disque, Love & Soul. Pas question ici de compositions originales. Corneille a puisé dans un répertoire varié et fait des choix ultra-personnels afin de réaliser ce disque de reprises.

Careless Whisper, Smooth Operator, Time After Time, Wicked Game, It Ain't Over 'Til It's Over... Que des titres que le chanteur avait envie d'enregistrer depuis longtemps. La quarantaine ayant tiré la cloche du portail, Corneille a décidé de s'offrir enfin ce cadeau.

«La tournée Forever Gentlemen [avec Garou et Roch Voisine] m'a décomplexé d'une peur que j'avais, me dit-il. Au fil des spectacles, je me rendais compte à quel point c'était le fun d'interpréter les chansons des autres.»

«Chanter ses propres chansons exige une part d'ego, alors que chanter celles des autres te place obligatoirement dans une démarche d'hommage.»

Reprendre des classiques ou de grands succès soumet inévitablement l'interprète au cruel jeu de la comparaison. Quand j'ai vu que Corneille reprenait True de Spandau Ballet, je me suis dit qu'il ne fallait pas qu'il la massacre, sinon il allait avoir affaire à moi. J'ai fait cette confidence à Corneille. Il a souri.

«En fait, j'ai abordé cela avec beaucoup d'humilité. Si tu me dis que Spandau Ballet faisait mieux True que moi, je vais te dire que tu as entièrement raison. Ils ont créé la chanson, c'est normal. J'ai fait ce disque pour rendre hommage aux artistes qui ont créé ces chansons et pour rendre hommage à mon enfance qu'ils ont bercée.»

L'interprétation de True par Corneille est loin d'être un massacre. C'est même très réussi. En fait, il est fascinant de voir comment cet artiste a pu enregistrer 12 chansons provenant d'horizons différents en compagnie de quatre réalisateurs tout en faisant un disque qui a sa propre personnalité. Le résultat aurait pu ressembler à un monstre à plusieurs têtes. Pourtant, Love & Soul est d'une grande cohérence. Chacune des chansons nous ramène à Corneille.

Déshabiller les chansons

Les chansons retenues pour le disque n'ont pas «éduqué» Corneille, comme ce fut le cas pour celles de Michael Jackson, Stevie Wonder ou Marvin Gaye. «Ce sont des photos sonores de mon enfance, dit-il. Elles ont joué un rôle d'accompagnatrices. Je suis né en Allemagne, mais j'ai grandi au Rwanda. J'étais un étranger chez moi, c'était un peu étrange. Ces chansons étaient omniprésentes. Elles ont servi de décor à mon enfance.»

L'écoute de ce disque, fort bien réalisé par ailleurs, nous fait voir que des chansons nées sous le signe de la pop ou du rock peuvent renfermer un côté soul qu'on ne leur soupçonne pas. «C'est entièrement vrai, dit Corneille. Pour découvrir le côté soul d'une chanson, il faut la déshabiller. C'est ce que j'ai fait en faisant des enregistrements voix-guitare.»

Quand il est arrivé à Montréal il y a une vingtaine d'années, Corneille interprétait déjà la plupart de ces chansons. «Je les faisais en cover avec le groupe O.N.E. On les jouait au Tokyo Bar ou au Jello Bar.»

Sur la trentaine de maquettes qui ont été faites, 12 chansons ont été finalement sélectionnées par les équipes du Québec et de la France. Une seule chanson qui avait franchi le fil d'arrivée a été rejetée. Il s'agit d'I Wanna Dance With Somebody de Whitney Houston.

«Je trouvais qu'elle ne m'allait pas, dit Corneille. Je ne lui apportais rien de bon et elle ne faisait rien de bon pour moi dans le contexte de cet album.»

L'heure du bilan

Corneille le reconnaît: il avait un peu perdu le plaisir de chanter ces derniers temps. L'homme, qui a eu 40 ans l'an dernier, est marié à une femme depuis 12 ans. Le couple a deux enfants. L'autobiographie (Là où le soleil disparaît) qu'il a lancée il y a deux ans lui a permis de regarder en arrière.

«Depuis quelque temps, je ressens le besoin d'avoir des souvenirs sensoriels. Ces chansons font partie de ces sens.»

Les 15 dernières années ont été tumultueuses pour le chanteur. En quelques mois, il est devenu une énorme vedette de la chanson tant au Québec qu'en France. Pendant plusieurs années, Corneille a traversé l'Atlantique comme d'autres font Montréal-Québec en autocar.

«J'ai la certitude aujourd'hui que le Québec est mon chez-moi. La France a adopté l'artiste, mais le Québec a adopté l'homme. J'ai de nouvelles racines bien ancrées ici. Je suis devenu biologiquement québécois. Mes enfants le sont. Je préfère faire des allers-retours entre le Québec et la France, mais avoir une base ici.»

L'auteur-compositeur-interprète travaille à un disque de chansons originales. Il a confiance de pouvoir offrir à son public le meilleur de lui-même. Celui qui s'est déjà demandé s'il n'aurait pas dû offrir la recette de Parce qu'on vient de loin quatre fois de suite a mis ces doutes derrière lui. Le temps lui a montré que l'entêtement l'avait bien servi.

«Je me rends compte, avec le temps, que cet éparpillement a été très bon. Ça m'a prouvé qu'on pouvait s'éparpiller, mais rester pertinent. Ce n'est pourtant pas ce que nous dit l'industrie. Elle nous dit qu'il faut rester dans les règles et dans les codes. On nous dit de refaire le même disque et de le faire vite. Je trouve ça dommage.»

En novembre prochain, Corneille offrira une série de spectacles au Casino de Montréal. Il partira ensuite en tournée partout au Québec retrouver ses admirateurs. En attendant, il y a ce disque qui arrive juste à temps pour accompagner l'été, la chaleur et la soul au fond de chacun de nous.

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SOUL. Love & Soul. Corneille. Musicor.

image fournie par Musicor

Love & Soul, de Corneille