D'où viens-je? Qui suis-je? Avant de se hisser très haut à La voix en 2015, Dominique Fils-Aimé n'accordait pas une importance majeure à ces questions... qui sont pourtant à la source de Nameless, premier album d'un triptyque réparti sur trois ans.

D'où vient-elle? Elle est née à Montréal, elle a étudié dans un lycée français d'Outremont, où elle a grandi, d'où cet accent transatlantique de bonne famille. Ses parents sont haïtiens, leurs lointaines origines sont africaines, françaises, cubaines, antillaises.

Qui est-elle? À l'orée de l'âge adulte, Dominique Fils-Aimé a cherché sa voie: formations successives en photographie, relations publiques, design de mode, psycho. Inscrite au premier cycle universitaire dans le but de devenir psychologue, elle a accompagné des enfants autistes; elle a aussi assuré le soutien d'employés en détresse.

«Confrontée à tant de douleur, je me sentais moi-même devenir cette personne qui souffrait, raconte-t-elle. Je ne me sentais plus à ma place. J'ai arrêté tout ça et je me suis alors mise à la musique. Ce fut ma thérapie. Je m'y suis donnée à fond, corps et âme, je ne voulais plus en sortir. La vie me disait: "OK, vas-y."»

Devenir la chanteuse de la famille

Depuis toute petite, la musique était sa passion, mais elle n'envisageait pas d'en faire une profession.

«Mes parents et mon milieu avaient travaillé si fort pour devenir ce qu'ils sont devenus. Autour de moi, on voulait s'assurer de la viabilité économique de mes choix. Je le comprenais et je le respectais.»

Elle chantait seule ou en privé tout en admirant sa soeur aînée, qui menait des études de chant lyrique et de piano. On la soupçonnait de mimétisme parce que subjuguée. Puis, sa frangine a renoncé à cette carrière, lui préférant les rôles d'arrière-scène - actuellement au Théâtre du Nouveau Monde et à l'Opéra de Montréal. La cadette Fils-Aimé pouvait-elle alors devenir la chanteuse de la famille? Elle commençait à y croire.

«J'ai croisé plusieurs musiciens sur ma route, je travaillais avec quiconque s'investissait pour les bonnes raisons, dans n'importe quel style. De fil en aiguille, j'ai acquis de la confiance, je me suis jointe à des groupes: Tough Love Groovy Therapy, vers 2012, Key of Groove vers 2014. On m'y a suggéré de venir devant plutôt que de faire les choeurs.»

L'éclosion artistique de Dominique Fils-Aimé s'est faite dans le bonheur, insiste-t-elle.

«Contrairement aux idées reçues, le milieu musical que je fréquentais n'était pas infesté de requins. Bien au contraire, j'ai surtout croisé que des gens souhaitant mon épanouissement.»

Et puis La voix

Et puis, ce fut La voix, déclencheur de sa notoriété. En demi-finale de la compétition, le public et son coach Pierre Lapointe lui ont préféré Matt Holubowski.

«Des Noirs et aussi des Blancs ont considéré que j'avais perdu à cause de la couleur de ma peau. À Montréal, pourtant, jamais m'avait-on parlé de la couleur de ma peau avant ce verdict. Certains ont même estimé que j'étais vendue parce que je ne criais pas à l'injustice. Il s'est dit beaucoup de bêtises, je crois.»

Quelle est son identité, alors? À l'évidence, Dominique Fils-Aimé préfère la modération et les nuances pour la définir. Selon elle, le verdict de La voix relève d'un processus plus complexe.

«Que ce soit vrai ou pas, je n'ai jamais interprété cet événement comme une défaite. Je m'y vois encore comme une gagnante, et rien ne va m'arrêter. Ce n'est pas en criant plus fort qu'on va mieux t'entendre, c'est plutôt en t'exprimant mieux.»

«Aujourd'hui, je me sens libre de communiquer mon art. S'il faut construire ma carrière en me produisant dans de petites salles, je le ferai. Ce ne sera pas un feu de paille», promet-elle.

On comprendra qu'une large part de l'album Nameless est née de cette réflexion. Sa créatrice y voit la traversée d'une nuit... éclairante.

«J'y passe de l'Afrique à l'Amérique du Nord, j'assiste à la création du blues, je visualise ce bleu nuit indigo. L'indigo était une plante que l'on utilisait pour teindre les vêtements royaux, elle était cultivée par des mains qui souffraient, elle passait de l'abusé à l'abuseur. J'ai grandi en tant que femme libérée, je croyais l'oppression chose du passé et... non, ce n'est pas fini. Je veux croire qu'on pourra l'éradiquer, car je vois tant d'actes de bonté chez les humains.»

Le rêve d'un esclave

Nameless démarre par une reprise épurée et très personnelle de Strange Fruit, fameux poème antiraciste d'Abel Meeropol chanté par Billie Holiday en 1939. Le fruit étrange dont il est question dans la chanson évoque ces victimes afro-américaines lynchées par les Blancs suprémacistes au début du siècle précédent.

«J'avais d'abord entendu la reprise de Nina Simone, ce qui m'a menée à écouter les autres reprises. Cette réalité épouvantable était présentée d'une manière tellement poétique que je n'en avais pas réalisé la teneur lorsque j'étais jeune. Plus tard, j'ai compris.»

Sa chanson Birds est le son à la fois libérateur et angoissant des oiseaux qui s'envolent. Home, c'est sa maison qui n'est qu'elle, là où ses pieds sont posés. Nameless, c'est l'essence humaine au-delà de toutes les étiquettes, de toutes les identités.

L'album se termine par Feeling Good, écrite en 1964 par les Britanniques Anthony Newley et Leslie Bricusse pour le musical The Roar of the Greasepaint - The Smell of the Crowd. La chanson fut popularisée par Nina Simone, lui conférant des vertus libératrices.

«Feeling Good conclut l'album dans un état d'esprit plus serein. Grosso modo, mes propres chansons se sont développées autour d'un texte de Maya Angelou: The Hope and the Dream of Slave. Ainsi, je deviens le rêve d'un esclave, jouissant de cette liberté à laquelle il n'aurait jamais pu rêver. Ou encore ne suis-je peut-être qu'un mirage ou bien porteuse d'un espoir de libération à venir.»

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SOUL/JAZZ/BLUES. Nameless. Dominique Fils-Aimé. Ensoul Records. Sortie le 2 février. En concert le 28 mars au Centre Phi.