Charlotte Gainsbourg fera paraître le 17 novembre l'excellent album Rest, réalisé par le Français SebastiAn, auquel ont notamment collaboré Guy-Manuel de Homem-Christo (moitié de Daft Punk), Owen Pallett, Connan Mockasin... et Paul McCartney. La chanteuse et actrice, de passage vendredi dernier à Montréal, nous parle de ses premières chansons en français, des comparaisons avec son père Serge, et de sa soeur Kate - qui s'est suicidée il y aura bientôt quatre ans -, principale inspiration de ce magnifique album, aussi sombre que lumineux.

J'ai été étonné que la musique de votre nouvel album soit si entraînante. C'est de l'électro très upbeat, funky, dansante... Beaucoup plus que les précédents [5:55 et IRM] alors que les textes sont plutôt mélancoliques.

C'est vraiment ce que je cherchais quand je suis allée voir SebastiAn. Ce que j'aimais chez lui, c'était le côté électro évidemment, mais aussi ce quelque chose d'assez chargé, de rythmé. Comme j'avais des sujets sombres, j'avais très envie qu'il y ait une grande contradiction avec la musique. Que ce ne soit pas un truc ultradépressif. C'était important pour moi qu'il y ait une opposition. Et qu'il y en ait aussi une entre ma voix - qui n'est pas très forte - et une musique costaude.

J'ai été saisi par cette dualité entre la gravité des textes et cette musique lumineuse, très mélodique. Les textes ont inspiré les musiques?

Au départ, quand j'ai rencontré SebastiAn, j'avais déjà des textes. Mais j'avais l'impression qu'il n'était pas très convaincu, et moi, il m'en faut très peu pour me casser et pour arrêter ! J'avais aussi commencé à travailler avec Connan Mockasin, et parce qu'il insistait, j'avais réussi à écrire pour la première fois en français. Alors que j'avais eu tellement de mal dans le passé. Enfin, je n'avais même pas osé essayer... Mais la chose commençait à être envisagée et possible. Avec SebastiAn, ça m'a refroidie. Je lui ai tout de même envoyé des musiques de films qui m'inspiraient et c'étaient pratiquement que des musiques de films d'horreur. J'adorais cette ambiance de Jaws, Psycho ou The Shining.

Des classiques...

Oui. Il y avait pas mal de Hitchcock, North by Northwest, la musique de Moroder, très électro évidemment, qu'il connaissait par coeur, mais aussi Camille de Delerue [tirée du Mépris de Godard]. C'était une ambiance, un monde que je m'étais fait, et il a été très inspiré par ça. Il m'a envoyé des démos qui allaient dans ce sens. Après, j'ai perdu ma soeur. On avait commencé à travailler un peu, mais moi, je me suis échappée à New York.

Pour mieux vivre votre deuil?

Oui. C'était impossible pour moi de rester à Paris. Vraiment, je sombrais. Heureusement, ma famille a accepté. Yvan [Attal] et les enfants sont venus avec moi et on a tous commencé une nouvelle vie à New York. SebastiAn a accepté de venir travailler là-bas avec moi. Tous mes textes ne parlaient que de ma soeur, du deuil et du manque, etc. Je l'assumais. SebastiAn a compris l'urgence que j'avais, par exemple, de raconter une balade dans un cimetière sur une musique très dansante. C'est là qu'on a vraiment pris la mesure de ce qu'on faisait. Ces contradictions avaient beaucoup de sens pour moi.

C'est par pudeur que vous n'écriviez pas en français auparavant?

Oui. Réellement. J'ai toujours écrit en français, mes journaux intimes notamment. J'aimais les mots. J'ai une admiration sans borne pour mon père, donc j'ai été élevée dans ses mots, dans sa poésie...

Vous craigniez la comparaison?

Je ne pouvais pas, professionnellement, aspirer à écrire en français parce qu'il avait mis la barre trop haut. C'était impossible pour moi de me sentir à la hauteur et capable. Je me jugeais d'entrée de jeu et c'est pour ça que, lorsque j'ai voulu refaire de la musique sans lui, ça ne me paraissait possible qu'en anglais. Au moins, il n'y avait pas de comparaison possible. Après, quand donc je me suis forcée à écrire en français, parce que j'en avais vraiment envie, et que Beck puis Connan m'ont encouragée à le faire, je me suis dit que ça valait peut-être le coup musicalement aussi. C'est plus dur d'écrire en français. Ça ne swingue pas. Ce n'est pas une langue très évidente.

On y est surtout moins habitué, je crois...

Les mots résonnent plus. Comme l'anglais est moins ma langue, on se permet plus de choses...

On est davantage dans la musicalité des syllabes que dans le sens profond des mots?

Voilà. Le français, on va trouver ça vite stupide si ce n'est pas bien fait. Et donc, le titre Rest, j'en avais honte au départ. Parce que je trouvais ça trop naïf, trop simple. Je ne l'assumais pas. À l'époque de l'album de Beck, mais aussi à l'époque de l'album d'Air, j'avais vraiment essayé d'écrire en français, mais j'avais jugé les textes pas suffisamment bons.

J'ai beaucoup aimé le texte, tout simple, de la chanson Kate. Est-ce que le deuil de votre soeur vous a aussi donné le courage nécessaire pour écrire en français?

Oui. Même si je ne me suis pas posé de questions. Ce qui se passait était tellement au-delà d'un jugement que c'était presque compulsif d'avoir à écrire. Mais ce n'était pas thérapeutique. Je ne me disais pas qu'il fallait que ça sorte. Ce n'était pas un truc pour me faire du bien, mais c'était ce que j'avais à dire. C'était une poésie qui me faisait du bien et c'était en français. C'était en français parce que c'était évident.

Vous avez dit «l'album de Beck», «l'album d'Air»: est-ce que celui-ci est «l'album de Charlotte» ou «l'album de SebastiAn»?

Mais moi, j'adore les collaborations! Pour moi, les choses sont marquées par les rencontres. Ce n'est pas parce que je dis que c'est l'album de Beck que ce n'est pas le mien. Mais c'est vrai que je le formule comme ça, donc ça veut dire ce que ça veut dire... Plus tard, je suis sûre que je citerai cet album en disant que c'est l'album de SebastiAn.

Même si vous avez écrit tous les textes?

J'en suis fière! Avec Beck, j'avais donné des mots par-ci, par-là, j'avais donné le thème de l'IRM, des choses que je voulais bien sûr exprimer. Mais là, oui, personne ne m'a aidée à faire ces textes. Il y a quelque chose de plus revendiqué. C'est vraiment ce que j'ai à dire avec mes mots à moi. Quelque chose qui me ressemble.

Je me trompe si je perçois dans certaines chansons une filiation avec la musique de votre père?

Oh non! Mais je pense que c'est vrai de chaque album. Je crois que chaque musicien à qui j'ai proposé une collaboration était fan de la musique de mon père. Que ce soit Air, Beck ou SebastiAn, on a toujours abordé le sujet avec beaucoup de pudeur. Comme si c'était un terrain où ils n'étaient pas certains que ça me fasse plaisir. Alors que ça me fait infiniment plaisir et que c'est presque chaque fois comme un hommage. Les albums de mon père sont devenus des signatures. Bien sûr qu'on s'en inspire. Pour mes albums, je trouve ça vraiment le bienvenu. Ce n'est pas que je le souhaite. Je n'ai pas dit à SebastiAn: il faut que ça sonne comme Melody Nelson. Mais comme par hasard, c'est là! (Rires)

Vous aimez les collaborations. Il y en a une qui ressort du lot: celle avec Paul McCartney. C'est la seule chanson dont vous n'êtes pas l'auteure...

C'est vrai! Il m'a livré la chanson il y a sept ans. J'ai demandé s'il acceptait de me rencontrer et on a déjeuné ensemble à Londres. On n'a pas parlé beaucoup de musique. J'étais très, très enceinte ! Il était sur le point de se marier, je crois. C'était plutôt intime et très amical. Je ne le connaissais pas. Il connaissait un peu ma mère, mais des années 70. J'y allais très admirative évidemment, avec tout ce qu'il représente, et très timide. À la fin, je lui ai dit que j'adorerais chanter une de ses chansons. C'était un rêve pour moi. On s'est quittés comme ça. Et quelques semaines plus tard, il m'a envoyé cette chanson. J'étais ravie, mais je ne savais pas quoi en faire parce que je n'avais pas d'album. J'ai montré la démo à SebastiAn: il l'a un peu détruite en fait, en se l'appropriant. Je me la suis appropriée moi aussi. Après, on l'a renvoyée à McCartney pour savoir si ça lui allait. Il était ravi et il est même venu à New York enregistrer quelques instruments. On a passé une journée de session dans le studio mythique d'Electric Lady [de Jimi Hendrix] et c'était vraiment magique.

image fournie par la maison de disques

Charlotte Gainsbourg signe toutes les chansons de son album Rest, à l'exception d'une pièce offerte par Paul McCartney.