Jason Bajada nous en averti d'emblée: il est tanné de rabattre les mêmes clichés en entrevue: «Cet album a sauvé ma vie», «Le temps arrange les choses», «Je profite du moment présent», «Le disque, maintenant, appartient aux autres», «J'ai voulu créer du beau avec du laid».

Il ressort ces lieux communs, puis s'en mord presque les lèvres. Mais pourquoi prendre des détours quand la vérité se présente aussi dépouillée? Sur l'album double Loveshit II (Blondie & the Backstabberz), le chanteur a mis ses tripes, ses viscères et son coeur entier sur l'étal du boucher. «C'est un album qui ne peut pas plus me ressembler», fait-il remarquer.

Les 20 pièces de cette septième livraison racontent, en deux volumes - l'un doux (Blondie) et l'autre amer (Backstabberz) -, une rude histoire de trahison amoureuse et amicale. Histoire vraie, qui plus est. «C'est une histoire d'amour avec une femme qui est devenue ma gérante. Je lui ai transmis la passion de la musique, et ça s'est reviré contre moi, ça m'a explosé à la gueule.»

«Des amis ont choisi le succès, la business, avant la solidarité amicale. Ça m'a complètement décimé. [...] Tous mes exutoires étaient contaminés. Et j'étais incapable de réagir à ça physiquement.»

Si mal dans sa peau, Bajada, qu'il en vient à taper «pistolet» sur Google avec l'idée d'en finir. Mais ses doigts viennent à fuir le clavier d'ordinateur au profit du clavier téléphonique. 

«Je suis allé sur le site web de Suicide Action Montréal et j'ai appelé l'organisme, confie-t-il. J'ai parlé quatre heures au téléphone avec quatre spécialistes, qui ont pu me diriger vers des centres d'action.» 

Hôpital psychiatrique, méditation, thérapeute («sa sorcière»): Jason Bajada s'est accroché à quelques bouées salutaires, le songwritting en tête.

De cet épisode, il subsiste des vers acérés. «All I wanna do is die», répète-t-il en déchirant une ambiance monacale sur In What World Do You Savages Live Where You Thought I'd Be Cool?, qui ouvre la deuxième moitié du projet.

La pièce a été écrite d'un trait le 31 décembre 2016, en pleine crise d'anxiété dans un studio de Morin-Heights, tandis que les feux d'artiste et les flûtes de champagne prenaient de la hauteur dans un chalet à quelques arpents de là. «J'ai voulu faire un recap de mon année, et c'est avec ce résumé-là que j'ai décidé de starter l'album.»

À fond dans le folk

Loveshit II poursuit une série noire entamée en 2008 et séparée par trois albums, dont les deux francophones Le résultat de mes bêtises et Volcano. C'est pendant l'enregistrement de cet opus que Bajada était au plus bas, miné par les troubles dépressifs et anxieux. Il pouvait au moins compter sur de vieux routiers du studio (Olivier Langevin, Jocelyn Tellier, François Lafontaine, etc.) pour mener l'album à terme.

«Il y avait cinq musiciens en studio et je laissais le band s'exprimer ; ils faisait ce qu'ils voulaient avec les maquettes. Là, à l'inverse, tu écouterais les maquettes et le résultat final, il n'y a à peu près pas de différence, sauf l'amplification.»

À la réalisation, Philippe Brault (Pierre Lapointe, Koriass, Safia Nolin) a su extraire un peu d'espoir au sale temps de l'«anamour», pour reprendre un néologisme gainsbourien.

«[Philippe] trouve ce qui "shine" sur l'artiste et il exploite ça, sans l'éparpiller. Il y a encore du monde qui voit Jason Bajada comme le gars avec sa guitare acoustique qui fait des tounes tristes. Mes deux derniers disques, c'était du planant, du band, du jam; il n'y avait rien de folk, mais tout le monde continuait de m'y associer. Je me suis dit, je vais y aller à fond et je vais écrire une toune comme Final Breath. Pousser l'idée de la chanson de feu de camp et en sortir le meilleur, même si j'haïs ça comme expression.»

Les mots de Backstabberz, taillés au couteau, sont portés par un folk aéré, parfois carrément lumineux. Peut-être grâce au contexte d'enregistrement. «La meilleure expérience de studio ever», dit-il. 

Reste que Blondie présente un prologue plus Jojo, pour citer l'un des titres. «Blondie, c'est moi qui est en train de tomber amoureux, qui essaie d'aider quelqu'un qui n'est pas heureux dans sa relation avec son copain. Il y a de l'espoir.»

Jason Bajada, avec cet ambitieux album double, est convaincu d'avoir signé sa meilleure production à date. Et peut-être à jamais, redoute-t-il. 

Pour un artiste, c'est sans doute la plus réjouissante des angoisses. «Chaque chanson est ma préférée. [...] S'il y a un bon truc qui est sorti de tout ça, c'est bien l'album.»

Tant pis pour les clichés, c'est la vérité toute nue.

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En concert sur le toit d'Ubisoft ce soir à 18 h avec Avec pas d'casque (à guichets fermés).

FOLK-ROCK. Loveshit II (Blondie & the Backstabberz). Jason Bajada. Audiogram.

Image fournie par Audiogram

Loveshit II (Blondie & the Backstabberz)