De Canailles, on a cette idée préconçue de larrons en foire, bardes givrés aux pieds desquels des hordes de noceurs se prêtent à leurs libations. La fiesta est-elle encore imminente? La sortie de Backflips, troisième opus de l'octuor, pourrait modifier les perceptions... sans pour autant dégonfler le ballon de ses vapeurs originelles.

Attendez qu'on se souvienne du feu qui anime Canailles: des braises avaient été attisées dans des parcs de Montréal pendant la saison chaude. S'y retrouvaient chantonneurs, tapocheux de peaux, gratteux de cordes. Toutes et tous étaient fervents de folk celte, bluegrass, zydeco cajun, punk rock et autres racines médicinales. Vint le moment de créer des chansons originales, après avoir tangué sur la verdure municipale. La langue familière s'est imposée.

«On n'avait pas vraiment de références françaises, on ne connaissait pas de groupe ayant choisi cette voie. Ce type d'instrumentation [incluant banjo, mandoline, accordéon] n'était pas courant chez les bands francophones», raconte Daphné Brissette, chanteuse centrale de Canailles, attablée dans un bistro de La Petite-Patrie. Et la genèse se poursuit.

L'énergie, l'opiniâtreté et la foi candide de ces jeunes gens les avaient menés à concocter un premier maxi en 2010. Le premier album, Manger du bois, fut réalisé en 2012 par l'ineffable Socalled et mixé par Philip Bova (Feist, Bell Orchestre, Stars). Ronds-points fut lancé en 2014, réalisé par Éric Villeneuve (Bernard Adamus).

Et maintenant... Backflips

Plus de 400 concerts ont été donnés depuis les débuts de Canailles, le groupe s'est taillé une réputation plus-que-festive, en plus de promouvoir un amalgame singulier de styles musicaux dans un contexte francophone. Et voici Backflips, réalisé par Tonio Morin-Vargas, lancé jeudi (à La Tulipe) sous étiquette Grosse Boîte. Plus grande cohésion, meilleure exécution, art abonni et, encore aujourd'hui, party garanti.

Backflips fut mis en chantier au terme d'une première crise de croissance; après le cycle de l'opus Ronds-points, des membres originels ont quitté l'embarcation.

«Notre gérante est partie, notre batteur a changé de vocation, notre banjoïste a fait un enfant en Louisiane. Tout était chamboulé», explique Erik Evans, chanteur et multi-instrumentiste de l'octuor (mandoline, ukulélé, tambourin), assis aux côtés de sa collègue.

«On ne savait plus si on voulait continuer, ajoute Daphné Brissette. Il a vraiment fallu réorganiser l'affaire: nouveau guitariste/banjoïste, nouveau percussionniste... On s'est remis à composer, c'est devenu évident qu'on ferait un nouvel album.»

La mise en chantier remonte à près de deux ans, indique Erik: «Cet album-là, on a pris notre temps pour le faire, contrairement au précédent qui avait été un peu précipité. Nous nous sommes permis une longue pause, nous avons cessé de jouer en public. Nous nous sommes cachés et avons composé.»

Artistes adultes

Bon gré mal gré, Canailles fonctionne en collectif; ses huit membres (s (cinq gars et trois filles, dont l'accordéoniste et chanteuse Alice Tougas St-Jak tient aussi un rôle de premier plan) partagent les tâches et responsabilités, chaque cachet est ainsi divisé en huit parts égales.

«Chacun a ses forces, explique Erik. Certains sont plus doués pour la gérance, la production, la "merch" [albums et produits dérivés], d'autres assurent la direction artistique et la création des chansons. Nous sommes en licence chez Grosse Boîte, nous sommes propriétaires de nos bandes maîtresses. Nous gardons la main sur nos affaires.»

Manifestement, ces bonnes gens ont appris leur métier au-delà de leur capacité à générer des ondes festives.

«C'était déglingué au départ, c'est plus organisé maintenant. À un moment donné, on a pris conscience que le public payait pour nous entendre, on lui devait respect. La fête pouvait continuer, mais il fallait être tight pareil», précise la chanteuse Daphné Brissette.

Avec les changements de personnel, autodidactes et musiciens de formation cohabitent désormais au sein de Canailles: «Même ceux parmi nous qui ont étudié la musique deviennent autodidactes dans notre contexte, car les styles que nous avons choisis ne s'enseignent pas dans les écoles. Par ailleurs, nous ne sommes pas des puristes dans notre façon d'interpréter ces styles, nous n'allons pas dans une seule direction», souligne Erik.

Ainsi donc, Backflips a été enregistré l'hiver dernier aux studios Breakglass. «J'aime ce qui a été accompli, affirme Erik. C'est le premier de nos enregistrements que je réécoute vraiment, sans gêne. On a trouvé un certain équilibre, une certaine rigueur. Musicalement, nous sommes plus solides.»

«Les textes y sont meilleurs, moins plaintifs, renchérit Daphné. On essaie d'y être plus inspirants et d'assumer ce que nous sommes. En tant qu'artiste, j'ai le sentiment d'assumer ma vie d'artiste adulte, une vie qui n'est pas normale et dont il faut accepter les conséquences. J'essaie de m'exprimer sincèrement en ce sens, j'essaie de rester droite malgré ce côté sombre qui me donne envie de fuir, de faire la fête.»

«C'est plus optimiste malgré tout, conclut Erik. Pour moi, faire de la musique avec Canailles demeure un grand privilège. J'ai pris l'avion une cinquantaine de fois depuis les débuts de l'aventure, je profite de tous les moments que m'apporte ce métier.»

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FOLK. Backflips. Canailles. Grosse Boîte.

Image fournie par Grosse Boîte

Backflips, de Canailles