Après avoir écrit pour Rihanna et Cher, l'auteure-compositrice LP raconte sa propre histoire avec l'album Lost on You, dont la chanson-titre a franchi le cap des 100 millions de visionnements sur YouTube. Rencontre avec une voix puissante et hors-norme.

Qu'importe si son nom n'a pas la même résonance qu'Adele ou qu'Elvis auprès du grand public. Ou si son spectacle montréalais qui affiche complet, le 3 juin prochain, se tiendra au Corona plutôt qu'au Centre Bell. Lorsque LP entre dans la pièce, silhouette androgyne en noir de la tête aux bottes, attitude cool en bandoulière, il n'y a aucun doute possible: l'artiste américaine est une authentique rock star.

Montréal est encore figé sous le glaçage blanc laissé par la dernière tempête de l'hiver lorsque LP se présente aux bureaux de La Presse, le regard dissimulé derrière des lunettes de soleil. La chanteuse gardera celles-ci vissées sur son visage tout au long de l'entrevue, comme il se doit, ne les retirant qu'au moment de la séance de photos. Sa ressemblance avec Bob Dylan n'en est que plus frappante.

Pour LP, Laura Pergolizzi de son vrai nom, 2017 est l'année de la consécration. Depuis près d'une décennie, malgré trois albums solos, l'artiste originaire de l'État de New York était plus reconnue pour sa plume que pour sa voix puissante et agile, offrant ses mots à des artistes à des kilomètres de son folk pop inspiré - Rihanna, Cher, les Backstreet Boys... Mais c'était avant de vivre une peine d'amour, et avant d'être abandonnée par sa maison de disques.

«C'était vraiment une période difficile, raconte l'auteure-compositrice, où je sentais que tout ce que j'avais bâti s'écroulait.» Alors qu'elle se sait au crépuscule d'une relation amoureuse, elle compose la chanson Lost on You. «Je l'ai écrite environ un an avant de rompre avec mon ex-copine», raconte-t-elle.

«Je voulais secouer cette personne et lui dire qu'elle ne me donnait pas ce dont j'ai besoin. Alors c'est un peu une chanson de rupture pré-rupture.»

L'ironie veut que LP ait interprété le futur hit à son ancienne maison de disques avant de se voir montrer la porte. «Tous ceux qui croyaient en moi à ce label sont partis. Et ils ont été remplacés par d'autres qui, eux, ne m'auraient pas choisie. Ma partie préférée de cette histoire est que je leur ai joué Muddy Waters, Lost on You et Strange dans l'espoir qu'ils me gardent, et ce, même si j'avais une dette d'environ un million et demi de dollars envers le label. Et bien, ils m'ont laissée tomber un mois plus tard. Mais ils ont aussi laissé tomber ma dette, alors je n'ai jamais eu à rembourser un sou!», rigole-t-elle.

Impossible de voir si, derrière ses lunettes fumées, son regard brille de satisfaction, mais gageons que oui.

Car de cette double rupture, personnelle et professionnelle, elle a tiré l'album Lost on You, spectaculaire condensé de colère et de détresse, pourtant plus vivifiant que sombre grâce aux évocations country et gospel. La pièce-titre au refrain déchirant a été adoptée par les radios et dépasse désormais le cap des 100 millions de vues sur YouTube. Quant à l'intense Muddy Waters, elle a accompagné les prisonnières de la série Orange Is the New Black lors de la finale de la quatrième saison.

Pour LP, c'en est fini de l'ombre. Les prochains mois de l'artiste de 36 ans seront consacrés à sa tournée européenne et américaine. Un nouvel album est aussi attendu prochainement.

Hors du cadre

Le succès de LP est d'autant remarquable que le personnage respecte peu les codes de la musique commerciale. Dans une même chanson, elle peut aussi bien jouer les sopranos que siffler de longs passages. Ses trois récents vidéoclips montrent la rockeuse, ouvertement lesbienne, avec celle qui partage maintenant sa vie, la chanteuse et mannequin Lauren Ruth Ward.

Si cette authenticité va de soi aujourd'hui, LP reconnaît avoir souffert de la pression des standards.

«Je me souviens de grandir et d'être terrorisée, absolument terrorisée par le fait d'être différente, assure-t-elle. Et ça peut paraître étrange venant de quelqu'un comme moi, mais je me rappelle cette rage croissante que je ressentais [face à la pression d'être] comme tout le monde.»

«Vous savez, d'où je viens, on ne pouvait pas sortir du placard et se sentir en sécurité. Pas nécessairement physiquement, mais sans être ridiculisé et humilié.»

Entre un père qu'elle dépeint comme alcoolique et une mère qui avait fait une croix sur une possible carrière de chanteuse d'opéra, la jeune Laura Pergolizzi se voyait plus devenir une pro du ballon rond que du micro. La mort de sa mère agira comme un détonateur. «La notion de temps perdu est devenue très palpable quand elle est morte. Je me suis juste dit: je vais vivre ma foutue vie. Et surtout ne pas essayer de satisfaire quelqu'un.» C'est ainsi qu'à la fin de l'adolescence, elle s'établit à New York, où elle devient LP.

«Je suis contente d'avoir tenté de me conformer à un certain moment, et compris comment ce sentiment est horrible, ajoute-t-elle, pensive. Parce que maintenant, si je peux aider quelqu'un à être plus soi-même, je serais honorée. [Être soi-même], c'est le seul chemin à suivre.»

À ces mots, son regard s'est peut-être embué. Mais avec les lunettes fumées, impossible de le confirmer.

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En spectacle au Corona, le 3 juin (complet).