Il est permis de croire que Killer Mike a acquis la notoriété des plus grands tribuns du hip-hop, toutes époques confondues; on pense entre autres à Chuck D, KRS-One, 2Pac, Ghostface Killah, Q-Tip, Jay Z, André 3000 ou Kendrick Lamar. Il est aussi permis d'affirmer que son proche collègue, El-P, marque la période actuelle avec des réalisations à la fois percutantes et singulières, hors des tendances lourdes du moment.

En témoigne l'excellent opus RTJ3. En voici l'incarnation sur scène signée Run The Jewels, demain au Métropolis.

D'où cette interview avec le tandem, entre New York, Atlanta et Montréal!

Q: L'enregistrement et la réalisation de RTJ3 se sont déroulés en bonne partie dans le contexte de l'élection présidentielle américaine. Cela a-t-il marqué le processus de création?

Killer Mike: Hum... Pendant cette élection, j'ai observé des candidats valides se faire escroquer. Aujourd'hui, mon pays doit faire avec un gouvernement tyrannique. Ça m'a carrément dégoûté, mais il n'y a rien d'autre à faire que de poursuivre le travail. À plus petite échelle, j'ai déjà recommencé à soutenir les candidats locaux dans ma ville, des gens proches de Bernie Sanders. En ce qui a trait à la création de notre nouvel album, cependant, je ne dirais pas qu'il y ait un lien direct. Le lien direct tient plutôt au climat social prévalant aux États-Unis depuis un moment. Assurément, ce contexte influence notre travail d'artiste.

El-P: Vous savez, cette tension entre les tendances plus réactionnaires de la société et ses tendances les plus ouvertes existe depuis toujours. Il y a des périodes où les gens ne portent pas attention aux abus de pouvoir, d'autres conjonctures éveillent les consciences. Nous sommes actuellement dans un tel contexte. Mike et moi avons toujours été sensibles et indignés par les abus de pouvoir et, oui, nous avons enregistré cet album en 2016. Comme le laisse entendre Mike, nous sommes plus citoyens que militants politiques, nous sommes artistes avant tout! Nous réagissons au réel de manière générale. Oui, nous sommes très préoccupés par ces nuages qui assombrissent le monde actuel. Et cette noirceur est certes ressentie dans l'album RTJ3. Plusieurs séquences en expriment l'émotion.

Q: Comment pouvez-vous résumer la facture sonore de RJT3 par rapport aux albums précédents?

El-P: Mike a déjà dit que ce troisième album était notre album bleu. Pour les raisons exprimées précédemment, il y a une vibration bleue dans notre manière de créer. Nous avons mis une année pour renouveler la proposition et ainsi démontrer que Run The Jewels ne se limitait pas à ses premiers concepts. Nous n'avons pas frappé le mur, nous avons plutôt le sentiment d'avoir préparé la voie vers l'avenir en suggérant une approche plus ouverte, plus mature. En tant que réalisateur, j'ai pris le temps de m'asseoir et d'effectuer un travail en profondeur. Faire en sorte que ce qui aboutit dans votre casque d'écoute vous mène à découvrir de nouveaux sons. J'ai grandi avec Afrika Bambaataa, avec les productions de Rick Rubin, Devo, avec The Art of Noise, la musique électronique...Je m'intéresse à toutes les musiques intéressantes, c'est le travail d'un réalisateur. J'aime la musique, j'ai un son qui m'appartient.

Killer Mike: Je me souviens que nous avions commencé par fumer de l'herbe, ce qui nous a menés à l'inspiration première. Pour nous, cela fait toujours partie du processus créatif. Au bout du compte, je crois que le thème central de RTJ3 est la liberté. Tout ce qui nous indigne est pour nous une atteinte à la liberté. Tout ce qui nous motive et nous inspire est une quête de liberté. Nous essayons de rappeler aux gens qu'ils sont normalement libres, mais que toute atteinte à leur liberté doit être dénoncée illico. C'est le moteur de notre expression.

Q: Que motive le choix des collaborations sur RTJ3: Zack de la Rocha (Rage Against the Machine), Danny Brown, Kamasi Washington, Tunde Adebimpe (TV on the Radio), Trina, Joy, Boots?

Killer Mike: Le choix des invités de cet album est d'abord fondé sur des liens d'amitié et non sur la quête d'un genre particulier, bien que ces artistes soient de très forts représentants de genres musicaux que nous apprécions au plus haut point. Nous avons aussi invité ces artistes parce qu'ils étaient nécessaires à la chanson en tant que telle. Nous avons toujours fonctionné ainsi. Le nom de l'invité n'est pas aussi important que la chanson en tant que telle. Nous nous estimons très chanceux de connaître autant d'artistes talentueux qui désirent travailler avec nous, mais notre album est tout sauf une compilation de gros noms.

Q: Vous continuez à vous produire seuls avec un DJ (Trackstar) comme dans le bon vieux temps. Pourquoi?

El-P: C'est excitant pour nous de donner un spectacle, mais nous restons toujours dans l'expression originelle du rap, comme le faisaient jadis les gars de Run-D.M.C., on l'a peut-être oublié. S'ils étaient capables de mettre le feu dans un aréna ou dans des stades, pourquoi ne le serions-nous pas? Notre présentation est meilleure que jamais. Et les gens ont peut-être oublié que des rappers accompagnés d'un seul DJ pouvaient allumer un stade entier! Si la musique est assez puissante, nous n'avons pas besoin d'artifices supplémentaires. Enfin, n'exagérons rien: notre spectacle est plus théâtral que les précédents, le décor est plus ambitieux, les éclairages sont très bien... pour deux MC et un DJ.

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Au Métropolis, ce soir, dès 20 h. RTJ sera précédé de The Gaslamp Killer, Gangsta Boo, Nick Hook et Cuz.