Kaytranada, né Louis Kevin Celestin, a donné un spectacle enflammé jeudi dernier au Métropolis. Inconnu du grand public québécois, le jeune homme de la Rive-Sud est actuellement le plus grand ambassadeur de la scène électronique montréalaise à l'international.

Soixante minutes avant de monter sur scène, Kaytranada nous invite à nous asseoir dans une coulisse du Métropolis. Il a une poutine chaude dans les mains et son chien Boris le suit partout. Sa mère ouvre alors la porte : « Marie-Flore, se présente-t-elle.

 - Vous devez être fière ?

 - Oh oui ! Fière, mais humble », nous répond-elle.

Humble à l'image de son fils de 23 ans, qu'elle a eu à Port-au-Prince avant de déménager à Saint-Hubert, sur la Rive-Sud. Louis Kevin Celestin fait partie de la génération des producteurs et beatmakers qui ont appris à composer de la musique sur un ordinateur dans leur chambre à coucher. « Les mélodies et les accords que je trouve, tout se fait aux sons et à l'oreille. Je peux tout faire avec un ordinateur », indique-t-il.

Rapidement, Kaytranada s'est fait découvrir sur le web grâce à un remix de la chanson If de Janet Jackson. Au printemps 2014, il a obtenu un contrat avec la prestigieuse étiquette XL Recordings (celle d'Adele, M.I.A. et Vampire Weekend). Ensuite, il a tourné massivement pendant deux ans et la BBC lui a confié une émission de radio mensuelle.

Kaytranada a souffert de son horaire effréné soudain, car il rêvait juste de sortir son premier album officiel. Le tout a finalement été dévoilé il y a deux semaines, avec un accueil fort chaleureux à l'image de sa jeune fructueuse carrière. Au Carrefour Laval, Kaytranada passe peut-être inaperçu, mais dans son milieu, il est une star montante. Madonna lui a même confié des premières parties à l'automne dernier.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Kaytranada

Le titre 99,9 % fait référence au perfectionnisme de Kaytranada.

Dans le monde de la musique, la plupart des stars pop cherchent à travailler avec des producteurs et beatmakers de talent qui ont un nouveau son. Madonna et Janet Jackson accepteraient sans doute de prêter leur voix à Kaytranada. Son rêve : Erykah Badu. « Je sais exactement ce que j'aurais fait avec elle. Je la textais et je lui ai envoyé des beats, mais cela n'a pas abouti... »

Une prochaine fois, peut-être.

« Ce que je cherche, c'est essayer quelque chose de nouveau, explique Kaytranada. Les collaborateurs, je les ai trouvés par Twitter et les réseaux sociaux. Des gens qui me suivent. Je ne veux pas cogner à des portes, sauf Erykah Badu. »

La marque de commerce de Kaytranada : « Mes accords et mon funky bassline. Mon frère m'a dit rapidement que c'était important quand nous écoutions The Roots », raconte-t-il.

Sur son album 99,9 %, Kaytranada a préféré collaboré avec des noms d'estime et non des grandes valeurs commerciales, dont Anderson .Paak, Little Dragon, Phonte, Craig David et River Tiber. Il demeure aussi près de ses homologues montréalais High Classified et K6A, et il a collaboré dans le passé à des groupes locaux comme Loud Lary Ajust et Alaclair Ensemble. Récemment, il a pris part à la populaire émission de la BBC animée par Benji B qui rendait hommage à la scène électro montréalaise et à laquelle participaient aussi Lunice, A-Trak et Jacques Greene. « C'est un Québec thing pour moi. »

Kaytranada cherche constamment à devenir meilleur. « Quand je collabore avec des instrumentistes comme BadBadNotGood, cela me permet de matérialiser ma chanson et de devenir un meilleur compositeur. »

La famille

Kevin Celestin habite toujours dans le sous-sol de ses parents, à Saint-Hubert, où il partage une chambre avec son frère Louis-Philippe - aussi musicien et fidèle collaborateur. Il a aussi deux soeurs dont il est proche et qui étaient en coulisses lors de notre entrevue.

Pour deux parents haïtiens qui ont déménagé au Québec, et pour beaucoup d'autres adultes, être un beatmaker ou un producteur, cela ne veut rien dire. Ce type de musicien existe depuis l'ère du web et des ordinateurs accessibles à tous. Kaytranada avait comme modèle Timbaland, J Dilla et le Montréalais KenLo. « Je regardais les crédits des chansons de Jay Z », se souvient-il.

Dans un article récent de The Fader, Kaytranada a aussi dévoilé qu'il était gai. « Je ne pensais pas que le journaliste allait en écrire autant, mais je suis content de l'avoir dit. »

La vie de Kevin a changé du tout au tout depuis trois ans. Celle du jeune Will Cole aussi, grâce à qui Kaytranada a pris l'avion pour la première fois en janvier 2013 pour un spectacle à Halifax au cachet de 250 $. « J'ai trouvé sa musique en ligne et je ne comprenais pas pourquoi il n'était pas célèbre », raconte Will Cole.

Depuis, Cole est l'imprésario de Kaytranada. Les deux hommes ont appris leur métier sur le tas. Aujourd'hui, ils doivent décliner plus d'offres qu'ils en acceptent. « Nous avons travaillé fort. Je crois que le succès dépend du nombre de refus que tu dois faire. »

Le temps file

Kaytranada a voyagé beaucoup, mais sans avoir le temps de finalement visiter Berlin et Paris. « C'est triste », lance-t-il.

Sinon, le mélomane écoute toujours énormément de musique. Il cite Stevie Wonder et le catalogue de Motown, ainsi que du rock progressif québécois, Marcos Valle, d'autres musiques brésiliennes des années 70. Et il revient souvent à Michael Jackson, Bob Marley et le kompa, que son père lui a fait découvrir très jeune. « J'ai appris à mettre un CD à 5 ans », souligne-t-il.

« Je veux toujours apprendre. J'étudie les chansons que j'écoute. Comment l'artiste a fait tel truc », dit l'humble jeune homme de Saint-Hubert, touché d'apprendre que sa compatriote torontoise WondaGurl a dit à La Presse admirer son travail.

Avec le délai de sortie de 99,9 % et son inspiration prolifique, Kaytranada a accumulé entre 100 et 150 chansons en chantier ou complétées dans son ordinateur. « Un jour, les gens vont les entendre. »