Rares sont les artistes qui donnent autant que James Taylor l'impression d'être tout à fait les mêmes sur scène que dans la vie. Voilà déjà cinq minutes que nous conversons au téléphone et, comme il le fait chaque fois qu'il renoue avec le public montréalais, le grand sec du Massachusetts cause dans un français fort respectable pour quelqu'un qui l'a appris il y a longtemps dans une colonie de vacances. L'instant d'après, il ajoute qu'il aimerait s'installer un mois en France avec sa femme, qui se débrouille également dans notre langue, et en profiter pour écrire les chansons d'un prochain album.

C'est le même homme allumé qui, au premier concert de sa tournée canadienne vendredi à Ottawa, a dédié sa chanson Fire and Rain aux victimes des incendies en Alberta et qui a décidé de leur verser les recettes de ses deux concerts à Calgary et Edmonton le mois prochain.

«C'est très difficile d'organiser un grand concert-bénéfice, mais comme on donnait deux spectacles en Alberta, on s'est dit: allons-y, répond-il tout bonnement. Quant à Fire and Rain, ça s'est décidé sur le coup. Tout le monde avait ça [les incendies] en tête, et ça me semblait être le bon moment.»

L'artiste de 68 ans s'amène vendredi au Centre Bell avec sous le bras son premier album de chansons bien à lui en une dizaine d'années. Before This World, paru en 2015, prouve une fois de plus qu'il n'a pas perdu la forme même si, pour en écrire les textes, il a dû se retirer seul dans une maison au Rhode Island.

«J'avais l'habitude d'écrire dans un petit atelier près de ma maison où je passais quelques heures par jour, mais maintenant, j'ai besoin de tranquillité, peut-être parce que j'ai deux adolescents à la maison ou qu'à cette étape de ma vie, il faut que je fasse le vide complet pour pouvoir écrire.» 

«J'aime le contact avec mes grands musiciens, qui sont comme une famille, ainsi qu'avec le public qui me fait vivre des moments très intenses. Mais j'aime également beaucoup la véritable solitude.»

Taylor avait l'habitude de coucher sur des musiques déjà composées des textes qu'il écrivait par la suite. Cette fois, pourtant, deux sujets fort différents se sont vite imposés: dans Angels of Fenway, la conquête de la Série mondiale par les Red Sox de Boston en 2004, après une longue disette de 86 ans associée à la vente du contrat de Babe Ruth aux Yankees de New York - la malédiction du Bambino, qui a marqué des générations d'amateurs de baseball de Boston; puis, dans Far Afghanistan, le sort d'un jeune soldat qui s'en va combattre pour se prouver des choses et sa difficulté à réintégrer la société à son retour au pays.

«À l'époque de la guerre du Viêtnam, j'ai perdu plusieurs amis, dont mon meilleur ami, qui s'est suicidé deux ans après son retour», explique Taylor.

Pour Hillary Clinton

Comme en 2008 et en 2012, le hasard ramène James Taylor à Montréal en cette année où son pays s'apprête à élire un nouveau président. On pourrait soupçonner ce partisan convaincu du Parti démocrate d'avoir un faible pour son voisin du Vermont, le vénérable Bernie Sanders. Mais s'il félicite Sanders d'avoir rappelé aux démocrates les véritables valeurs libérales et d'avoir tiré un peu le parti vers la gauche, c'est Hillary Clinton qui remporte son adhésion.

«Je suis très déchiré entre les deux, mais je crois que Hillary va être capable de composer avec Washington mieux que Bernie, estime-t-il. J'aime son enthousiasme et sa force morale. Pour tout dire, en fait de personnalité, je préfère de beaucoup Hillary. Peut-être suis-je très cynique, mais je trouve que le climat actuel à Washington exige vraiment quelqu'un qui a beaucoup de doigté et de patience. Ça ne suffit pas d'avoir le bon agenda idéologique. Ça va être très difficile de travailler avec les républicains.»

Taylor ne s'étonne pas le moins du monde du succès de Donald Trump. Il a d'ailleurs sa petite théorie sur le sujet.

«Les républicains peuvent compter sur les 10 % des électeurs qui sont très riches parce que c'est là que se trouve leur véritable électorat. Mais comment font-ils pour que 50 % des gens votent pour eux? Premièrement, ils disent au Sud qu'ils défendent les droits des États et qu'ils ne laisseront pas le gouvernement fédéral s'en mêler. Puis ils rallient le reste des électeurs partisans d'une cause unique comme le lobby des armes, la droite religieuse qui veut enseigner le créationnisme dans les écoles, les xénophobes et les homophobes et ceux qui veulent dire aux femmes que leurs corps appartiennent aux hommes. C'est comme si la base électorale qu'ils ont constituée était tellement déplaisante et nourrie par la peur qu'elle n'attendait que quelqu'un comme Donald Trump pour s'en emparer.»

Ce qu'il y a de plus urgent, ajoute Taylor, c'est une réforme électorale en profondeur qui permette vraiment à tout citoyen américain de se prévaloir du droit de vote.

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Au Centre Bell, le vendredi 13 mai.