Attendu depuis des lustres, le quatrième opus de l'ex-Montréalaise Grimes a comblé les attentes de ses fans mais aussi de la critique. De fait, Art Angelsfigure dans le classement des meilleurs albums de 2015 de plusieurs médias de référence. Entretien avec cette artiste hors catégorie... qui refuse catégoriquement de coller l'étiquette pop à son succès phénoménal.

En quoi consiste une ascension vertigineuse ? Celle de Grimes en est un exemple patent.

Septembre 2011, fin de soirée à Pop Montréal. Au sous-sol de la Mission Santa Cruz, environ deux centaines de curieux sont agglutinés au pied d'une scène bancale : Claire Élise Boucher, alias Grimes, y manoeuvre avec les moyens du bord. Il y a pourtant lieu d'être là, car elle a sorti deux albums très créatifs en une seule année : Geidi Primes et Halfaxa.

Suivra Visions en 2012, consacré album électronique de l'année aux Junos et... ça se mettra à grimper très rapidement : signature chez le prestigieux label 4AD, enchaînement de tournées mondiales, gérance assumée par la puissante Roc Nation, propriété de Jay Z.

Originaire de Vancouver, la Montréalaise d'adoption (venue étudier les neurosciences en 2006) déménagera ses pénates à Los Angeles en 2013 et y créera, outre plusieurs chansons mises en veilleuse, l'acclamé Art Angels.

À 27 ans, Grimes a-t-elle conscience de sa mutation d'artiste souterraine à star mondiale ? Tout au long de cet entretien, elle s'applique plutôt à déconstruire cette réputation d'icône pop qu'on lui prête.

« Vous savez, je travaille encore seule. Je fais encore tout ce que je veux, la musique qui me vient en tête. J'écoute sensiblement les mêmes musiques que j'écoutais il y a quelques années. »- Grimes

La palette de couleurs est vaste, il faut dire : Aphex Twin, Elizabeth Frazer (Cocteau Twins), Lana Del Rey, Beyoncé, TLC, The Ramones, Swans, Mariah Carey, Outkast, Janelle Monáe, Drake, Enya, Skinny Puppy, Marilyn Manson, Nine Inch Nails, The Smashing Pumpkins, la pop coréenne, bref, un mélange baroque d'électro, synthpop, nusoul, dancepunk, R&B, rock, grunge, industriel, drone, expérimental ou même médiéval. Pop ?

On la sent agacée lorsqu'on prononce ce mot : « Je ne sais pas ce qu'est la pop. Je connais peu d'artistes pop, je n'ai rien à voir avec ce monde. »

« Ceux qui croient Art Angels plus simple et plus pop que mes albums précédents doivent réaliser qu'il s'y trouve plusieurs centaines de superpositions instrumentales et vocales. Les styles y sont plus diversifiés », explique l'artiste.

« N'IMPORTE QUI PEUT FAIRE DU LO-FI »

En créant Art Angels, Grimes a tourné le dos à l'approche lo-fi qui avait fait le succès de Visions. « N'importe qui peut faire du lo-fi... Ce qui me semble vraiment expérimental consiste à combiner des sons jamais entendus aux accroches mélodiques. Cela requiert de nombreuses habiletés et connaissances. »

Et vlan dans les flancs. Puis elle vaporise un parfum féministe sur son point de vue : 

« On m'associe à la pop grand public parce que je suis une fille et que mes chansons ont des accroches. Or, plusieurs musiques qui n'ont rien à voir avec la pop ont aussi des accroches. Prenez Flesh Without Blood : c'est une chanson comme en faisaient The Ramones, avec une guitare bon marché et un riff de trois notes. Or, puisque je suis une femme et que j'ai cette voix, ça devient pop ! », ironise-t-elle.

Dans la même optique, elle affirme que la mise sous contrat chez Roc Nation et sa migration californienne n'ont aucunement altéré sa singularité : 

« Je ne crois pas que cela ait eu un impact sur mon travail. Je me suis d'ailleurs établie à Los Angeles lorsque des amis proches ont choisi eux aussi de quitter Montréal pour vivre en Californie ; je pense notamment à Megan James et Corin Roddick de Purity Ring. »

L.A. AUJOURD'HUI, MONTRÉAL DEMAIN ?

Grimes ne boude certes pas son plaisir avec tout ce succès qu'elle remporte, mais elle tient à rester dans sa bulle.

« Je trouve ça à la fois hallucinant, enivrant et étrange... C'est pourquoi il m'importe de rester proche de mon noyau d'amis et de collaborateurs, qui sont essentiels à ma créativité. Je souhaite toujours cette émulation ; je dois confronter mes idées au sein d'une communauté. »

Communauté de migrants, force est d'observer : Grimes n'est pas certaine de demeurer à L.A. lorsque ce cycle de spectacles se terminera, l'automne prochain.

« Très bientôt, le bail de ma maison prendra fin, je serai de nouveau sans domicile fixe... Amusant ! L'automne prochain, je pense peut-être m'établir à Toronto ou à Montréal, je ne suis pas encore certaine... » - Grimes

Pour l'instant, elle préfère se concentrer sur sa tournée qui la mènera très bientôt en Asie, en Océanie et en Europe.

« L'évolution du spectacle est fluide. Je cherche toujours à ajouter de nouveaux sons au répertoire, repenser l'interprétation de chansons plus anciennes. Je me lasse rapidement de rejouer les mêmes trucs. »

UN MODÈLE ? POURQUOI PAS !

On lui rappelle qu'elle est l'une des rares auteures-compositrices-interprètes à s'être imposées également en tant que réalisatrices et beatmakers. Un modèle, en quelque sorte.

« Un modèle ? Peut-être... Pourquoi pas ? À Montréal, cependant, je connaissais plusieurs filles qui travaillaient sur des beats : Mozart's Sister, etc. Personnellement, j'ai appris davantage par essai-erreur et avec des amis qui ont été très sympas à mon endroit. Aujourd'hui, je vois plusieurs femmes qui s'y mettent, c'est vraiment cool. »

Elle cite en exemple Janelle Monáe, avec qui elle a chanté Venus Fly sur Art Angels.

« Énoooorme influence ! Nous avons travaillé chez elle, ce fut très inspirant. Je l'admire, car elle a réussi sans faire de compromis. C'est exactement ce que je vise. »