«Ça fait un long moment que j'y suis venu, mais je suis très enthousiaste de retrouver Montréal», amorce le Sénégalais Youssou N'Dour, superstar du continent noir, bête de scène, bête politique et bête médiatique.

Sa dernière visite remonte en effet à décembre 2007. Ses fans présents à l'Olympia de Montréal se souviennent d'un spectacle dynamique, professionnel et... sans surprise.

Cette absence de nouvelle matière était le présage d'une longue pause artistique, désormais terminée: jeudi prochain, les retrouvailles entre le chanteur africain et ses fans auront lieu dans le même Olympia.

Depuis 2011, en fait, Youssou N'Dour s'est consacré à une carrière politique très intense au Sénégal, où il fut ministre de la Culture et du Tourisme après avoir tenté en vain de briguer la présidence. Depuis l'an dernier, le chant et la création ont repris le dessus; un nouveau cycle s'amorce avec cette tournée et un nouvel album en chantier.

Joint aux États-Unis, le chanteur résume d'abord le dernier chapitre de son existence:

«Ces dernières années, j'ai été très engagé envers mon pays, je le reste encore. Avec cette responsabilité de ministre de la Culture et du Tourisme, il était impossible pour moi de poursuivre ma carrière de chanteur. J'ai donc mis mon art en stand-by jusqu'à l'an dernier, quoique je demeure ministre-conseiller du président.»

En quoi consiste cette tâche?

«J'alerte, je fais des missions, je participe à la stratégie, je suggère des idées. Je conseille le président sur toutes les questions. Ce travail nécessite moins de temps, ce qui me permet de revenir à la musique.»

À l'instar de Gilberto Gil au Brésil, Youssou N'Dour est un des rares artistes populaires devenus ministre de la Culture.

«Oui, la comparaison est bonne; la carrière de Gilberto Gil et la mienne se ressemblent un peu. Ma vie politique, cependant, demeure importante, même si je suis retourné à la musique. En 2011, nous avons mené un combat démocratique contre l'ancien président Abdoulaye Wade. J'avais posé ma candidature à la présidence du Sénégal, mais, malheureusement, on l'avait invalidée. Je me suis donc rangé aux côtés de Macky Sall qui a gagné l'élection présidentielle. Aujourd'hui, il y a un président avec qui je m'entends bien. La donne a changé, la présidence ne fait plus partie de mes projets, du moins dans l'immédiat. Il faut dire que ça n'a jamais été une chose vraiment calculée...»

Politique et médias

Avant de se lancer en politique et de diriger brièvement des ministères au gouvernement sénégalais, Youssou N'Dour était déjà un homme puissant dans son pays.

De vedette nationale à la tête du groupe Super Étoile de Dakar, Youssou N'Dour a acquis une réputation internationale en tournant à maintes reprises aux côtés du Britannique Peter Gabriel.

Instigateur du style mbalax, sorte d'actualisation du patrimoine folklorique sénégalais dans un contexte résolument moderne, il est considéré comme l'un des artistes cruciaux de l'Afrique moderne, sinon le plus marquant de ses chanteurs depuis les années 80.

De plus, contrairement à la majorité des stars africaines de sa génération, il n'a pas quitté son pays, où il est devenu un incontournable.

En plus de tourner régulièrement sur les scènes du monde entier, il est devenu un producteur influent et un entrepreneur prospère au Sénégal. On l'a vu fonder le groupe Futurs Médias, qui comprend le quotidien dakarois L'Observateur, la Radio Futurs Médias (RFM) et la chaîne de télévision Télé Futurs Médias (TFM), sans oublier une imprimerie.

«J'ai commencé par une radio, j'ai ensuite acheté un quotidien puis une télévision qui marchent bien. Ces médias sont gérés par des professionnels; moi, je n'en suis que le promoteur», explique notre interviewé.

Aucun conflit d'intérêts avec ses fonctions politiques?

«Non. Aucun problème. Mon rôle a toujours été très défini au Sénégal. Ma presse a la vocation d'être libre et responsable, de travailler sur la vérité. Et si des gens pensent que c'est un peu difficile, je dis non, c'est assez logique. On dit la vérité au gouvernement, on en apprécie les bons coups, on alerte aussi la population, comme toutes les presses responsables. Il n'y a pas de conflit d'intérêts, en tout cas pas pour l'instant. Et j'espère que ça va continuer comme ça.»

Autres contrées, autres moeurs, force est d'observer... Alors, parlons plutôt de cette relance artistique.

«Ma passion pour la musique, assure Youssou N'Dour, est restée la même lorsque j'étais au gouvernement. Le week-end, je travaillais en privé avec mes musiciens avec qui je suis resté très proche. Les fondations sont toujours là, et je travaille sur un nouvel album qui sortira au début de l'année prochaine. J'espère qu'on va ressentir cet enthousiasme en concert.»

Il faut comprendre que ce prochain spectacle du chanteur ne portera pas sur sa matière en chantier. Gestion de patrimoine, donc?

«J'essaie de gérer mon patrimoine, effectivement. C'est quand même un rendez-vous entre le public et son artiste, et l'artiste doit lui donner ce qu'il connaît déjà. J'essaie aussi d'évoluer, mais il me faut sortir du studio et retrouver la scène.»

Et comment se manifeste cette évolution dans le nouveau cycle de Youssou N'Dour?

«Dans mon prochain album, par exemple, il y aura des collaborations avec de jeunes musiciens et réalisateurs africains, car je tiens à rester dans l'air du temps. Le Sénégal a traversé plusieurs périodes: colonisation, esclavage, beaucoup de choses se reflètent dans notre musique. La musique sénégalaise peut parfois s'apparenter au jazz ou aux musiques afro-latines, mais, actuellement, c'est le groove africain que j'ai en tête. Ce groove marque ma sénégalité.»

Et, selon le chanteur, ce groove africain n'exclut pas les nouvelles tendances de la musique pop, qu'elles soient hip-hop ou électro.

«Ça m'interpelle! Pour moi, d'ailleurs, cette nouvelle dynamique africaine n'est pas seulement sénégalaise. Elle se trouve partout en Afrique de l'Ouest, mais aussi au Nigeria ou en Afrique du Sud. C'est pourquoi je m'efforcerai de ressembler à l'époque.»

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À l'Olympia de Montréal jeudi prochain, 20h30.