Anik Jean vient de faire paraître son cinquième album, Lost Soul - son premier en anglais. Elle a aussi coréalisé un film, dont la sortie est prévue cet hiver, qui a été inspiré par son album. Entrevue sur la langue, sans langue de bois.

Je voulais te parler du choix de faire un album en anglais. Ce que cela représente pour un artiste francophone au Québec en 2015...

La langue française est toujours aussi importante pour moi. C'est ma langue maternelle, celle de mon fils. Mais j'ai plus de facilité à m'exprimer en anglais en chanson.

C'est ce qui te vient le plus naturellement?

Oui. Le Trashy Saloon, mon premier album, était censé être en anglais. Je l'ai fait avec Jean Leloup qui m'a dit: «T'es tellement meilleure en anglais!» Je le savais, mais j'avais envie de m'essayer en français. Je ne me trouvais pas assez bonne. Je ne me trouvais pas assez cultivée. Il y a plein de mots que je ne connaissais pas. J'ai du vocabulaire. J'étais bonne à l'école en français. Ce n'est pas ce que je veux dire. Mais c'est facile de sonner «quétaine» en français.

De façon générale, au Québec, on fait plus attention aux mots dans les chansons en français et peut-être davantage aux sonorités musicales en anglais, non?

C'est une question de mélodies. J'écris différemment en français et en anglais. C'est plus saccadé en français et plus mélodique en anglais. Jean m'a beaucoup coachée au début. Je me suis beaucoup inspirée de lui. Ça s'entendait sur mon premier album. Une chance qu'il a été là. Sinon, je n'aurais jamais fait le saut en français.

Pour moi et pour beaucoup de gens de notre génération, Leloup a été le catalyseur d'une envie d'entendre et de faire du rock en français.

Il a fait sonner le rock francophone vraiment cool. Mais quand je lui ai dit que j'allais faire un premier album en anglais, il m'a dit: «Enfin!» Pour moi, c'est un exploit d'avoir fait quatre albums en français, même s'il y avait des chansons en anglais. Je trouve ça vraiment difficile. Je m'étais mise à lire le dictionnaire et à souligner les mots que je ne connaissais pas dans des romans conseillés par des amis. Je ne lisais qu'en anglais. J'arrivais de la Californie où j'ai vécu quatre ans. Avec ce cinquième album en anglais, je reviens à mes racines.

As-tu l'impression que faire un album en anglais aujourd'hui est moins compromettant qu'à l'époque de ton premier disque, il y a 10 ans?

Tu te sens moins jugé. C'est le fun de pouvoir utiliser deux langues. Je me sens plus à l'aise aujourd'hui d'assumer que je fais un album en anglais. On est plus ouvert à ça, au Québec, il me semble. Même s'il faut s'assurer de garder notre langue, sinon on va tous parler anglais.

Je suis le premier à dire qu'il faut protéger notre langue et la Charte de la langue française, mais la langue d'expression artistique devrait être libre de contraintes. Jorane crée dans une langue inventée...

Je me souviens d'en avoir discuté avec Catherine Ringer et Fred Chichin des Rita Mitsouko. Peu avant sa mort, Fred me disait: «Mais pourquoi vous ne chantez pas plus en anglais au Québec? Vous avez la chance de ne pas avoir d'accent...»

Tu veux élargir ton public potentiel en chantant en anglais? C'est quelque chose de réfléchi?

C'est certain. J'aime voyager. Je suis très inspirée par Los Angeles parce que j'y ai habité. Toutes mes influences musicales sont de Londres. C'est sûr que j'aimerais bien aller jouer là-bas, et on s'enligne pour ça. Mon disque est sorti partout dans le monde, dans 240 territoires. J'ai envie de m'exporter, d'aller voir ailleurs.

Il y a un danger que tu aies moins d'attention au Québec en chantant en anglais. L'accès à la radio est plus compliqué.

Je savais qu'en me battant contre Adele et Madonna, je n'avais aucune chance. Je sais aussi que je n'ai pas un son Énergie ou CKOI. Mais CHOM va probablement embarquer.

Il faut que je te pose la question parce que c'est l'éléphant dans la pièce, mais tu te rappelles cette fameuse phrase qui a été beaucoup reprise...

Laquelle?

J'avais écrit une critique très dure du film de ton chum [Patrick Huard], Filière 13, et tu avais réagi sur le tapis rouge à la première... («Dans la vie, il y a des junkies, des tueurs en série, des gens qui violent du monde et des journalistes caves!»)

Ah oui! Je ne m'en souvenais plus, de celle-là! Moi, je suis une louve avec mon fils et mon mari. Quelqu'un s'attaque à l'un des deux, et je mords. Mais je me suis beaucoup calmée depuis! Je suis impulsive. J'ai dit ce que j'ai dit. Mais je ne suis pas rancunière.

Je comprends. Je suis impulsif aussi, et ça me met parfois dans l'embarras. J'ai trouvé ça plate, pour être franc, que tu fasses les frais de cette histoire-là.

Je commençais à sortir avec Patrick. J'ai appris que je faisais mieux de ne pas me mêler de ses affaires! Mais je ne crains pas la controverse. Je ne serais pas capable d'être dans une boîte et de ne jamais rien dire. Finalement, t'es pas mal plus cool que je le pensais. Parce que t'as pas une super réputation, en passant... [Rires]

Tu n'es pas la première à me le dire! As-tu des rapports difficiles avec les journalistes? Je repense à la campagne de promotion controversée de ton dernier album, Schizophrène. Tu avais envoyé de fausses lettres de menaces à des journalistes, qui ne l'ont pas apprécié...

Ç'a été dur parce que l'album n'a pas eu de vie. J'y avais mis beaucoup d'énergie. Il était dédié à mon frère décédé, qui était schizophrène. Je n'ai pas pu lui rendre hommage. J'ai dû faire le deuil de cet album-là, carrément. Je venais d'accoucher de Nathan. J'ai décidé de rester à la maison et de passer à un autre appel. J'étais mal entourée. Mais je ne trouve pas que c'était un mauvais «stunt». Ma plus grande erreur a été le timing entre les lettres. Parce que c'était drôle, non? Lady Gaga aurait fait ça et on aurait salué son audace...

Je n'ai pas reçu de lettres, mais les collègues qui en ont reçu ont trouvé ça heavy. On pouvait facilement prendre ça au sérieux. Ce n'était pas clair que c'était une campagne de promotion. J'ai trouvé ça mal géré.

S'il y avait eu un indice, ç'aurait peut-être été mieux reçu. Moi, j'ai trouvé la réaction exagérée. Certains ont appelé la SQ!

Tu es lucide devant le moins grand potentiel de vente de ton album au Québec? Parce que chanter en anglais au Québec, c'est peut-être mieux accepté aujourd'hui, mais c'est quand même un risque de se couper d'un large public...

Tu tournes moins à la radio, le public t'entend moins, tu vends moins d'albums, c'est sûr. Mais avec le web et les réseaux sociaux, on est rendus ailleurs. On peut rejoindre beaucoup de gens.

Certains t'ont-ils reproché de chanter en anglais?

Il y a juste une dame qui m'a écrit qu'elle avait adoré le clip de Closer mais qu'elle aurait préféré la toune si elle était en français.

J'ai grandi dans un milieu très anglo. Je suis très conscient des dangers de l'assimilation et de la nécessité de protéger le français, mais je ne crains pas le bilinguisme.

J'essaie d'élever mon fils en français et en anglais. Parce que je trouve ça très important. Il regarde des films en anglais et en français. Il a 4 ans, c'est une éponge. J'ai parfois cette discussion-là avec mon chum, qui est très préoccupé par la langue française au Québec. S'il n'en tenait qu'à moi, mon fils irait dans une école anglaise. Sa langue maternelle, c'est déjà le français. L'anglais, c'est une langue qui permet de voyager partout dans le monde. Être bilingue, c'est une richesse.