Pour son cinquième album, Grand Corps Malade (de son vrai nom Fabien Marsaud) a choisi le collectif. Le slameur a proposé à ses collaborateurs une seule phrase comme source d'inspiration: «Il nous restera ça.» Tous ont joué le jeu, même Renaud, qu'on n'avait pas entendu depuis longtemps, et un certain Fred Pellerin, bien connu chez nous...

Nous avons attrapé Grand Corps Malade en pleine tournée médiatique, au Zebra Square, à côté de Radio-France, dans le 16e arrondissement. Ce qui attire l'attention sur ce cinquième album, un collectif intitulé Il nous restera ça, c'est la liste impressionnante et éclectique de ses collaborateurs: Charles Aznavour, Ben Mazué, Jeanne Cherhal, Lino, Hubert-Félix Thiéfaine, Luciole, Richard Bohringer (son ami, son «tonton»), l'écrivain Érik Orsenna, «notre» conteur Fred Pellerin et le mythique Renaud, sorti miraculeusement de sa retraite pour l'occasion.

Renaud, qu'on n'avait pas entendu depuis huit ans, a écrit un texte, Ta batterie, destiné à son fils de 9 ans, Malone. Comment Grand Corps Malade a-t-il réussi à convaincre cette icône de la chanson française, retirée depuis si longtemps?

«Je pense qu'il en avait envie, au fond de lui. Il fallait un peu créer l'étincelle, donc je suis allé le voir chez lui dans le Sud. Il m'a dit: «Pourquoi pas?» Il aurait pu me répondre: «Laisse-moi tranquille.» Il m'a raconté cette histoire de batterie qu'il a offerte à son fils pour son anniversaire, et je me suis qu'on pourrait partir de ça. C'est moi qui ai écrit la première phrase, comme s'il fallait juste un peu le lancer, et voilà, Renaud s'est remis à écrire.

«C'est moi qui étais au stylo, mais c'est lui qui dictait les phrases. C'est un énorme bonheur pour moi, qui suis fan depuis toujours, d'assister à ce retour.»

Il paraît même que cette invitation a redonné à Renaud le goût d'écrire.

«Il nous restera ça.» Quatre mots ramenant à l'essentiel, une phrase proposée à tous les collaborateurs, choisis de façon arbitraire, explique Grand Corps Malade.

«Je me suis fait plaisir. J'ai téléphoné à ceux que j'aimais et dont j'admirais l'écriture. Comme j'ai des goûts variés, ça va du rap des années 90 jusqu'aux grands chanteurs comme Aznavour ou Renaud en passant par des plus jeunes comme Luciole, Cherhal et Fred Pellerin, votre monstre sacré du Québec. J'avais envie d'une grande variété de gens et leur point commun, c'est que j'aime leur travail.»

Il y a tout de même quelque chose de mélancolique dans cette phrase, «il nous restera ça». Comme si on nous avait tout enlevé, sauf le plus important.

«Bien sûr, mais pas que ça, admet Grand Corps Malade. Il y a un côté un peu solennel, mais on peut l'ouvrir aussi sur du positif. «Il nous restera ça», ça fait un peu bilan, mais il y a des bilans très positifs. On sent que le monde ne va pas dans le bon sens, un monde un peu fou qui nous écrase et un système qui nous aliène. Finalement, l'art, au milieu de tout ça, c'est quelques petites traces qui font du bien, qui nous font réfléchir, qui nous font chaud au coeur, sourire ou rougir, et, du coup, c'est aussi l'idée du dernier texte de l'album, où je dis: «Dans ce monde de brutes, quelques grammes de poésie.» C'est l'esprit de l'album.»

Pellerin et la naissance du monde

«Elle avait une texture que j'aime bien, cette phrase, qui pouvait être inspirante pour les auteurs. J'ai reçu chaque texte comme un cadeau. J'ouvrais le paquet, je découvrais ce qu'il y avait à l'intérieur. J'ai vu que chacun avait vraiment joué le jeu, écrit des textes travaillés, beaux sur le fond et sur la forme. Et chaque fois cette phrase qui revenait, comme un clin d'oeil. Comme un «voilà, Fabien, j'ai respecté ta consigne». Je suis assez fan de tous les textes que j'ai reçus.»

Grand Corps Malade ne connaissait pas personnellement Fred Pellerin avant de l'inviter pour cet album, mais, à tous ses passages au Québec, il entendait parler de lui.

«On me disait que le slam pouvait ressembler un peu à ce qu'il fait, et, du coup, je me suis renseigné sur son travail. J'ai découvert son univers et j'ai été impressionné par son écriture. Au moment de faire la distribution de l'album, je me suis dit que ce serait génial d'avoir Fred Pellerin parce qu'il allait amener sa singularité, ce côté conteur, son chantant accent québécois. Moi, j'aime l'accent québécois, et rien que d'avoir cet accent au milieu de ces Français, je trouvais ça intéressant. Il nous a pondu un texte génial. Une espèce de conte sur la naissance du monde et sur les hommes qui cherchent à s'approprier les fruits de la Terre.

«C'est fort symboliquement, politiquement presque, mais ça reste un conte, une légende, un univers très Fred Pellerin.»

On a rarement entendu Fred Pellerin dans un tel enrobage sonore, doit-on ajouter. Des arrangements créés par Babx et Angelo Foley.

«Ils ont fait un peu du contre-emploi pour certains, note Grand Corps Malade. C'était une demande de ma part, car je savais que j'avais un album avec de beaux textes, de la poésie. Je voulais montrer que la poésie, c'était aussi moderne, rugueux, un peu musclé. Je leur ai demandé une musique qui ne soit pas juste quelques jolis accords de piano parce qu'il y a une poésie dessus. J'avais envie d'un truc plus costaud et ils sont même allés plus loin que ce que j'imaginais. Pour Fred Pellerin, ça monte, ça monte, comme le soleil derrière la montagne et, au moment où la lumière jaillit, musicalement, il y a une explosion. C'est son idée, d'ailleurs, à Fred Pellerin; je dois lui rendre ce qui lui appartient.»

Grand Corps Malade sera au Québec au début du mois de décembre pour trois spectacles de la tournée de son album précédent, Funambule. Il ne promet rien mais aimerait bien faire monter Fred Pellerin sur sa scène, puisqu'il présentera quelques morceaux de ce nouvel album, qui pourrait faire l'objet d'un spectacle unique.

__________________________________________________________________________________

Au Petit Champlain (de Québec) les 6 et 7 décembre et au Théâtre St-Denis le 10 décembre.

CHANSON. Grand Corps Malade. Il nous restera ça. Tandem.