Rattle That Lock n'est que le quatrième album solo de David Gilmour en 37 ans. Mais l'éclectisme de ce nouveau disque laisse supposer que le guitariste et chanteur britannique se sent libéré depuis qu'il a rangé Pink Floyd parmi ses souvenirs. Gilmour s'explique à La Presse.

Polly Samson, femme de David Gilmour, est de ceux qui croient que le musicien britannique se sent plus libre depuis qu'il a bouclé le dernier chapitre de l'histoire de Pink Floyd en lançant l'album The Endless River l'an dernier.

«Je ne veux pas répondre à sa place, mais, oui, je sens qu'il est absolument libre maintenant de faire toutes sortes d'expériences et de laisser sa muse le mener où bon lui semble», nous disait cet été la romancière qui est également la parolière de plusieurs chansons de son mari depuis l'album The Division Bell de Pink Floyd, il y a une vingtaine d'années.

Sur le plan musical, le nouvel album de Gilmour, Rattle That Lock, ratisse plus large que ses disques précédents. On peut y entendre des accents de jazz (Dancing Right in Front of Me et The Girl in the Yellow Dress) et même une chanson à saveur disco (Today).

«Cette libération est survenue il y a plusieurs années», affirme toutefois Gilmour, à qui nous avons parlé quelques heures après notre conversation avec sa femme. «Je m'étais toujours promis de sortir The Endless River parce qu'il y avait de la jolie musique là-dedans et que les fans savaient qu'il restait des enregistrements inédits des séances de 1992 et 1993. Mais je n'avais pas besoin d'être libéré. J'avais décidé il y a plusieurs années déjà que Pink Floyd était terminé pour moi.»

«En fait, je ne me suis jamais senti restreint auparavant. Si ces chansons m'étaient arrivées alors que je faisais un disque de Pink Floyd, on en aurait fait des chansons de Pink Floyd», dit-il.

Gilmour ne renie surtout pas son passé au sein de Pink Floyd: «Qu'on me comprenne bien. J'ai passé plusieurs années dans ce groupe, avec ces gars-là, et 95% du temps que nous avons passé ensemble m'a procuré une grande satisfaction artistique et beaucoup de franche camaraderie, de rires et de bons moments. Je ne permettrai pas que les 5% de moments moins agréables gâchent mes souvenirs. Mais toute bonne chose a une fin. Comme le disait George Harrison: all things must pass

La musique qui parle

David Gilmour ne signe que deux des textes des chansons de Rattle That Lock, ayant confié les autres à Polly Samson. C'est d'ailleurs elle qui avait écrit les paroles de Louder Than Words, seule chanson de The Endless River. Gilmour voulait un texte pour marquer la fin de Pink Floyd et Polly en avait déjà un sous la main qui lui avait été inspiré par les retrouvailles du groupe au concert caritatif Live 8 à Londres, en 2005.

«J'étais dans la même pièce que ces quatre gars-là qui ne se parlaient pas du tout, raconte-t-elle. C'était un peu malaisant... Puis ils sont montés sur scène et, tout à coup, ils sont devenus tellement éloquents. Leur communication musicale était extraordinaire. Ça m'a frappée et j'ai pris des notes puis j'ai écrit un texte que j'ai donné à David en lui disant: «Si tu as une musique pour ça, ne te gêne pas.»»

Polly Samson a dû beaucoup insister, cette fois, pour que son mari écrive deux textes auxquels il a consacré plusieurs mois: Face of Stone, à propos de sa mère qui souffrait de démence, et Dancing Right in Front of Me. Au sein de Pink Floyd, c'est Roger Waters qui maniait - plutôt bien - la plume et, encore aujourd'hui, Gilmour préférerait confier tous les textes de ses chansons à son écrivaine de femme.

«De lui faire écrire ces deux textes fut probablement le travail le plus difficile que j'ai fait de ma vie. Mais ça valait la peine parce que ses deux chansons sont vraiment très bonnes», dit Polly Samson.

Gilmour ne nie pas qu'il est intimidé par le talent de parolière de Polly, mais, à sa décharge, il faut dire que sa musique, nourrie par sa guitare immédiatement reconnaissable, est très évocatrice et pourrait parfois se passer de mots.

«Polly m'a déjà demandé pourquoi je ne faisais pas d'album instrumental. C'est que j'adore la voix humaine et que j'aime chanter. Mais il arrive parfois qu'une pièce soit très réussie sans paroles et que, si on essaie de la chanter, ça ne fonctionne pas. Donc j'aime faire des pièces instrumentales», explique Gilmour qui en a composé trois sur Rattle That Lock.

En tournée

Gilmour entreprenait samedi en Croatie le volet européen d'une nouvelle tournée qui le mènera en Amérique du Sud en décembre puis dans quatre villes nord-américaines, dont Toronto, le printemps prochain. Chez evenko, on espère pouvoir le convaincre de s'arrêter à Montréal en 2016.

Il a réuni plusieurs des musiciens qui l'accompagnaient dans la tournée On an Island en 2006, dont Phil Manzanera. Depuis une dizaine d'années, l'ex-guitariste de Roxy Music est devenu son complice essentiel qui l'a aidé à terminer The Endless River et a coréalisé Rattle That Lock en plus d'y jouer de plusieurs instruments.

«Sa présence en studio est inestimable et c'est super d'avoir un vieil ami avec soi quand on part en tournée», dit Gilmour qui, pour la première fois en plus de 30 ans, n'aura pas à ses côtés Rick Wright, claviériste de Pink Floyd, mort en 2008. Étonnamment, ce n'est pas Gilmour mais Polly Samson qui signe le texte de la chanson A Boat Lies Waiting, qui évoque la perte de Wright sur le nouvel album.

«David a joué avec un certain nombre de claviéristes et, chaque fois, il me disait: «Si seulement Rick était ici...» D'une certaine façon, il a fallu que Rick nous quitte pour que David prenne conscience de ce qu'il a perdu», de dire Polly Samson qui a été inspirée par le roulement des vagues qu'elle entendait dans cette composition de son mari. Elle a aussitôt pensé à Wright, dont la grande passion était la voile.

«C'est triste parce que s'il était encore ici, il aurait participé à la création de ce disque, reprend Gilmour. Il me manque comme musicien et comme ami.»

Trois chansons commentées

Rattle That Lock

David Gilmour a composé la chanson qui donne son titre à l'album à partir du jingle qui précède les annonces dans les gares en France. «Dans les gares d'Angleterre, d'Italie et d'Allemagne, les jingles sont vraiment assommants, mais j'ai trouvé celui-ci amusant, dit Gilmour. La première fois que je l'ai entendu à la gare du Nord, j'ai fait quelques pas de danse. Puis quand je l'ai entendu à nouveau à Aix-en-Provence, je l'ai enregistré en tenant mon iPhone le plus près possible d'un haut-parleur. Puis je l'ai ramené à la maison et je me suis mis à jouer avec.»

Face of Stone

«Elle m'a été inspirée par une journée que j'ai passée avec ma mère qui souffrait de démence et qui avait des hallucinations, explique Gilmour. Ce jour-là, elle tenait dans ses bras pour la première fois ma plus jeune fille Romany, qui venait de naître et qui a 13 ans aujourd'hui. Elles auront donc été sur cette planète toutes les deux pendant huit ou neuf mois. Cette chanson un peu triste traite de début et de fin [de vie].»

Dancing Right in Front of Me

«Plusieurs personnes m'ont demandé pourquoi j'avais mis un petit interlude jazzé au milieu de cette chanson. Je leur répondais: «Parce que j'aime ça.» «Mais, ça n'a pas de sens», insistaient-ils. Et moi de leur dire: «Je m'en fous, je le garde.» Heureusement, je peux faire tout ce que je veux.»

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ROCK. David Gilmour. Rattle That Lock. Columbia/Sony. Sortie le 18 septembre.