Gilberto Gil est parmi les artistes-clés du mouvement tropicaliste brésilien des années 60-70. Qui plus est, opposant au régime militaire de l'époque, expatrié à Londres de 1969 à 1972, fervent progressiste et écologiste, ministre de la Culture sous la présidence de Lula da Silva, une cinquantaine d'albums derrière la cravate. Que faire ensuite? Depuis 2008, il est revenu à ses premières amours: la composition, l'écriture, l'interprétation. Le voilà aux sources de son art chansonnier: le répertoire de João Gilberto et plus encore.

«Il y a huit ans, résume- t-il lorsque joint au téléphone, j'ai eu envie d'enregistrer un album de samba. Mais j'ai procrastiné, reportant ce projet d'année et année. Il y a trois ans, j'étais en Australie chez les aborigènes, je participais au tournage d'un documentaire sur les inégalités entre le Sud et le Nord, sur les conséquences de la colonisation, etc.

«Un soir, à mon retour à l'hôtel, j'ai joué Aos Pés da Cruz, une vieille chanson des années 30 que João Gilberto interprétait. Le jour suivant, je jouais Doralice de Dori Cayimi que Gilberto reprenait aussi. Je me suis dit alors que j'étais prêt à faire cet album de samba. J'ai continué à choisir des chansons, à les jouer. J'ai choisi les chansons de cet album et les ai enregistrées l'an dernier.»

De fil en aiguille, le répertoire de ce nouvel album s'est précisé. Au bout du compte, il regroupait des chansons enregistrées par João Gilberto au début de sa carrière: Gilbertos Samba, paru chez Sony l'automne dernier. Qu'est-ce qui justifie un tel hommage?

«Gilberto fut l'un des artistes cruciaux du style bossa nova. Sa façon de chanter, de phraser, son sens rythmique, ses inflexions, le grain de sa voix, tout ça fut à l'époque quelque chose de nouveau, d'avant-gardiste. Ce fut un fondement pour ma formation de musicien, d'auteur-compositeur-interprète. Ce pour quoi j'ai pris la décision de devenir professionnel.»

Grandes affinités artistiques

Et pourquoi un auteur-compositeur-interprète respecté reprend-il le répertoire d'un autre compositeur-interprète respecté qui a repris le répertoire d'autres auteurs-compositeurs-interprètes respectés?

«Nous, Brésiliens, répond Gilberto Gil, aimons jouer les chansons des collègues que nous aimons personnellement ou avec qui nous avons de grandes affinités artistiques. Je ne sais pas si c'est plus systématique chez les Brésiliens, je sais que nous le faisons tous en concert. Un sens de la communauté, j'imagine.»

Cela étant, cette ouverture aux reprises de la musica popular brasileira exclut le mimétisme chez notre interviewé.

«Pour toutes ces chansons, j'ai prévu de nouvelles introductions, de nouveaux ponts, différentes approches rythmiques. Ce répertoire traverse aussi mon propre univers. Ce n'est pas une imitation.»