Le pianiste romain Enrico Pieranunzi n'est pas une superstar, mais il est sans conteste l'un des plus éminents jazzmen de notre temps. De surcroît, un des plus prolifiques: le sexagénaire enregistre depuis les années 70, sa discographie compte plus de 70 albums et de grandes collaborations - Chet Baker, Phil Woods, Lee Konitz, Paul Motian, Marc Johnson, Kenny Wheeler, Scott Colley, Antonio Sanchez, pour ne nommer que ceux-là.

Enrico Pieranunzi ne remplit pas le Théâtre Maisonneuve ou la Maison symphonique, bien qu'il soit hautement respecté par ses pairs, prisé par les connaisseurs au même titre que le sont ses collègues new-yorkais Fred Hersch ou Steve Kuhn. Il est de ces maîtres élégants et discrets du piano jazz, qui ne cessent de tourner et d'enregistrer à travers le monde, mais sans le soutien d'une puissante machine à réputation. Voilà pourquoi il se produit plutôt à L'Astral demain.

«Steve Kuhn ou Fred Hersch? Euh oui... il font partie de la liste des comparaisons. Ces musiciens ont d'ailleurs une touche que l'on pourrait qualifier d'européenne», commente timidement le pianiste au téléphone, lorsque joint au Danemark - il s'y produisait il y a quelques jours.

Accompli mais modeste

Enrico Pieranunzi est un artiste que l'on découvre à la seule condition d'aimer le piano jazz bien au-delà de la virtuosité clinquante, de ces salves ostentatoires qui attirent les foules. Sa profondeur harmonique, son élégance mélodique, la clarté de son articulation, sa connaissance profonde du style et son éducation classique à l'européenne le positionnent parmi les jazzmen les plus accomplis.

Comme la plupart des maîtres discrets, Pieranunzi n'aime pas trop causer de lui-même. Un petit effort?

«Il est très difficile pour moi de commenter ma propre évolution. Je peux toutefois parler d'éveil et de conscience; à ce titre, j'espère avoir été constant tout au long de ma carrière. Mon adolescence fut marquée par la découverte du bebop, à commencer par Charlie Parker. Puis je me suis intéressé à des approches plus mélodiques, comme celle de Chet Baker avec qui j'ai joué à mes débuts professionnels. Ce fut un tournant très important. Dans la même optique, j'ai aussi été marqué par le jeu du pianiste Bill Evans, mais aussi par Chick Corea et d'autres pianistes de cette trempe. Avec mon éducation classique, ça a produit ce mélange que je suis.»

Enrico Pieranunzi estime en outre que son identité pianistique est intimement liée à son travail de compositeur.

«J'adore composer, je crois que cette inclination pour les formes rejaillit dans mes compositions, mais aussi dans mon interprétation et mon improvisation. Parfois, vous savez, le jazz ne requiert pas d'improvisation ; l'interprétation de la partie écrite d'une composition (phrasé, texture, intensité, etc.) peut suffire. D'autre part, le contact avec les autres musiciens peut révéler de nouvelles facettes de ma musique.

«À ce titre, j'ai eu la chance de jouer avec des musiciens merveilleux. Par exemple, j'ai adoré faire équipe avec le contrebassiste Marc Johnson et le batteur Joey Baron. Oui, j'ai souvent joué avec des musiciens américains, ces rencontres ont souvent été organisées en Europe parce que le public là-bas aime entendre ces musiciens. Cela dit, j'aime beaucoup travailler avec des musiciens européens lorsque l'occasion se présente.»

PROGRAMME MONTRÉALAIS

Ainsi, les jazzophiles d'ici auront le privilège d'entendre une nouvelle fois ce musicien d'exception - Pieranunzi dit avoir joué à Montréal en 1993, 2001, 2006 et 2013, soit au Festival de jazz. Dans le cadre du festival Jazz en rafale, il sera associé à une section rythmique montréalaise: le batteur Richard Irwin et le contrebassiste Fraser Hollins, dont la réputation locale n'est plus à faire.

«C'est l'idée d'Alain Bédard, qui assure la direction artistique de cette présentation. Je lui fais entièrement confiance. Je joue régulièrement avec des musiciens locaux lorsque je suis en tournée. J'encourage cette pratique, bien au-delà des considérations économiques.» 

«Pour moi, c'est tout simplement enrichissant de partager ma musique avec des musiciens d'ailleurs. Voilà un avantage du jazz.»

Que jouera-t-il à Montréal?

«Je ferai quelques standards comme Yesterdays (Jerome Kern) et My Funny Valentine (Richard Rodgers et Lorenz Hart). Grosso modo, le programme sera constitué de mon propre matériel. Des pièces anciennes, mais surtout celles enregistrées récemment avec Scott Colley et Antonio Sanchez. Lorsque j'enregistre un album, je tiens à composer du nouveau matériel. Ce que je ferai ce printemps au Village Vanguard [de New York] avec Scott Colley, le saxophoniste Donny McCaslin et le batteur Clarence Penn.»

Citoyen de la planète jazz, Enrico Pieranunzi n'a jamais cessé de résider dans sa ville natale. Pourquoi?

«J'ai toujours vécu à Rome. Je suis très attaché à son style de vie, sa cuisine, son climat, son histoire, mes racines, ma maison...»

L'adage veut qu'à Rome, on fasse comme les Romains. À l'évidence, cela inclut de faire... du jazz.