Les amateurs bien au fait du jazz actuel le savent: d'excellents musiciens installés en Amérique du Nord et en Europe sont israéliens. Entre autres pointures, on applaudit les pianistes Yaron Herman, Shai Maestro et Roy Assaf, les homonymes Avishai Cohen (trompette et contrebasse), la clarinettiste Anat Cohen, le contrebassiste Omer Avital, le guitariste Gilad Hekselman. New-Yorkais d'adoption, ce dernier s'illustre depuis quelques années et le fera encore au festival Jazz en rafale... à l'invitation de Tevet Sela, saxophoniste israélien installé à Montréal.

Il est encore tôt à Crown Heights, quartier de Brooklyn où vit Gilad Hekselman. Le téléphone sonne, un appel de Montréal. Le sympathique trentenaire est frais et dispos pour nous dresser son autoportrait.

«Je viens de Kfar Saba, à 30 minutes de Tel-Aviv. J'ai quitté Israël il y a maintenant 10 ans. Comme Shimrit Shoshan, pianiste douée morte en 2012 d'un arrêt cardiaque à l'âge de 29 ans, j'ai étudié à l'école supérieure d'arts Thelma Yelin, dont le programme est excellent pour développer le talent musical.»

On apprendra plus tard que la clarinettiste Anat Cohen, le trompettiste Avishai Cohen et le saxophoniste Eli Dejibri, tous de calibre international, ont étudié à cette école israélienne. Plusieurs ont ensuite mené des études supérieures aux États-Unis. C'est le cas de Gilad Hekselman. À l'automne 2004, il s'est inscrit à The New School for Jazz and Contemporary Music. Il vit à New York depuis.

Comme plusieurs musiciens de sa génération, le guitariste préconise un éclectisme stylistique:

«Si le jazz occupe une large part de mon langage, je m'intéresse aux musiques méditerranéennes, brésiliennes, latines, indiennes - j'ai étudié auprès de Sanjai Kumar Sharma, grand joueur de sarode installé à Tel-Aviv. J'adore aussi la musique classique, surtout Chopin, Bach, Debussy, Rachmaninov, la musique de piano... J'aime aussi le rock et la chanson indies, Alan Hampton, Clare&the Reasons, Dent May. En fait, je n'obéis à aucune règle pour déterminer ce que j'aime ou je n'aime pas.

«J'adore me retrouver dans un nouvel environnement, découvrir des artistes dont je n'avais jamais entendu parler. Dans cette optique, mon prochain album s'intitulera Homes, c'est-à-dire toutes mes maisons musicales, géographiques, culturelles. Cela dit, je n'en fais pas un principe; je respecte les musiciens ou mélomanes qui s'intéressent exclusivement à un genre musical.»

Bien que s'appuyant sur une technique d'enfer, Gilad Hekselman ne se pose pas en révolutionnaire. C'est, du moins, la première impression que laissent ses quatre albums - This Just In, Hearts Wide Open, Words Unspoken, Split Life. Très jazz d'entrée de jeu, effets de pédales plutôt discrets sauf sur le dernier album qui annonce les mutations à venir. Réformes importantes?

«Il y a encore beaucoup à faire avec la guitare jazz, estime-t-il. Je me réjouis de voir de jeunes musiciens ambitieux qui s'efforcent à en repousser les limites, je pense notamment à Mike Moreno, Lage Lund ou Yotam Silberstein. Bien sûr, je respecte les maîtres comme Peter Bernstein, Kurt Rosenwinkel, Lionel Loueke et leurs prédécesseurs.»

Une première rencontre

Chose certaine, notre interviewé ne joue pas avec des deux de pique. Son trio new-yorkais se compose du bassiste Joe Martin et du batteur Marcus Gilmore, auquel s'ajoutera Jeff Ballard pour une piste de son cinquième album à paraître en septembre. À Montréal, cependant, il sera l'invité d'un compatriote devenu montréalais... qu'il n'a jamais rencontré en personne.

«Tevet Sela m'a contacté pour que je sois l'invité spécial de son groupe. J'ai écouté sa musique, j'ai aimé et mon agenda me permettait cette collaboration. Et voilà!»

Originaire de Tel Aviv, l'hôte de Gilad Hekselman vit à Montréal depuis 5 ans, ce mois-ci.

«Au début de ma carrière, j'envisageais de rester en Israël, rayonner à partir de là et... Mon épouse m'a fait réaliser que ce n'était pas l'idéal pour devenir jazzman international. Nous nous sommes installés au Canada, nous avons fait un essai à Montréal parce que ma femme parle très bien le français. Nous en avons beaucoup aimé l'atmosphère. Les gens, la culture, la tolérance, un vrai mélange! Ça rejoint nos valeurs. J'aimerais tant que le monde entier soit comme Montréal. D'autant plus qu'on y compte d'excellents musiciens.»

À l'instar de Gilad Hekselman, le saxophoniste (alto et soprano) a étudié à l'école Thelma Yelin, mais il a préféré compléter sa formation en Israël, soit à la Rimon School of Music. Ce qui est loin d'être un handicap; rester là-bas l'a peut-être même conduit à assortir son jazz de superbes ornements orientaux. Ce qu'on peut apprécier, d'ailleurs, dans plusieurs pièces de ses albums: Lying Sun, Tevet Sela, Coming True et Jazz Flute.

«Je veux honorer ma culture israélienne, et cette culture est très vaste: Europe de l'Est, Afrique du Nord, Afrique, Espagne, etc. Ce patrimoine fait partie de mon propre son, mais le fondement de ma musique reste le jazz, issu de la culture africaine américaine. J'aime aussi les concepts harmoniques inspirés de la musique classique moderne, et je tiens à conserver la dimension mélodique dans mes compositions afin que tous puissent s'y accrocher.»

Ainsi, les deux musiciens israéliens ont rendez-vous à Montréal avec des Québécois d'origines acadienne et haïtienne: «Gilad Hekselman a un grand talent, estime son compatriote. Il a son propre son, il est très avancé rythmiquement et harmoniquement. J'ai hâte de travailler avec lui! Il pourra alors découvrir le contrebassiste Rémi-Jean LeBlanc ainsi que Martin Auguste, un de mes batteurs préférés.»

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Le 20 mars, 19h, à l'Astral.