Après avoir fait revivre des chansons des années 30, Diana Krall reprend dans son nouvel album Wallflower des chansons pop des années 70 qu'elle interprétait jadis dans les pianos-bars. Ce nouveau virage arrive à point nommé dans la vie de la chanteuse qui a connu une fin d'année 2014 très difficile. Rencontre.

Dans une salle de conférence d'un hôtel du centre-ville, Diana Krall se remémore son grand concert sur la place des Festivals l'été dernier. Sa gorge se noue, elle essuie quelques larmes, s'excuse puis se ressaisit.

Le 29 juin 2014, la pianiste et chanteuse a donné au Festival de jazz le tout dernier spectacle de la tournée Glad Rag Doll, un disque qui lui avait été inspiré par les 78-tours que son père lui faisait jouer dans son enfance.

«Ce fut très difficile de dire adieu à tout ça, se rappelle-t-elle. Elvis [Costello, son mari] était là, et je savais que j'entrais dans une période difficile de ma vie. Ce spectacle parlait de mon père... et il est mort juste avant Noël. C'était énorme pour moi de rentrer à la maison et de dire à mon père que je venais de chanter devant 100 000 personnes tout en lui montrant les journaux que j'avais rapportés de Montréal.»

Ce n'est pas tout. L'automne dernier, la chanteuse originaire de la Colombie-Britannique a été forcée de reporter à ce mois-ci le lancement de son album Wallflower et le début de sa nouvelle tournée en raison d'une pneumonie. «On ne s'imagine jamais qu'un mauvais rhume va virer à la pneumonie, mais je suppose que j'étais vulnérable, dit-elle. Je ne suis pas encore tout à fait rétablie, mais je vais beaucoup mieux.»

Elle fait une pause, puis ajoute: «J'ai eu une année vraiment difficile, mais c'est positif d'aller de l'avant et de faire quelque chose de différent.»

Après le swing jazz, la bossa, un album de ses propres compositions et des chansons d'il y a presque 100 ans rendues avec une attitude rock'n'roll, Diana Krall renoue cette fois avec les chansons pop des années 70 qu'elle jouait quand elle faisait du piano bar. Des succès des Eagles, d'Elton John et autres Mamas and the Papas qu'elle affectionne même si elle est parfaitement consciente que certains les considèrent trop légers pour elle.

«Certaines personnes trouvaient que Frim-Fram Sauce - popularisée par Nat King Cole - était légère en comparaison d'A Love Supreme [de John Coltrane]. Mais je ne trouve pas ça léger de chanter Operator - de Jim Croce - avec Graham Nash et Stephen Stills. Je voulais faire un disque pop, de chansons que les gens connaissent. Ce n'est pas un album du genre "Diana Krall chante les succès des années 70", ni un disque où je reprendrais des chansons très rock'n'roll qui ne sont pas faites pour moi.»

Le complice David Foster

Plus encore, la dame y joue très peu de piano, laissant cela au réalisateur et orchestrateur canadien David Foster qui enrobe ces versions de cordes. Foster qui, dit-elle, a une sensibilité jazz et l'a libérée du poids de concevoir elle-même de nouveaux arrangements, de tout jouer au piano et surtout de se casser la tête à trouver les tonalités dans lesquelles chanter ces chansons qui n'ont pas été écrites pour elle: «Il a soutiré des choses incroyables de ma voix en la plaçant dans des tonalités plus sombres auxquelles on ne m'associe pas.»

Certaines des premières critiques de Wallflower n'ont pas été tendres, dont celle «affreusement personnelle» de Stephen Holden du New York Times, mais elle s'y attendait.

«David m'a appelé pour me dire que ça le visait plus que moi, raconte-t-elle. Mais je me rends compte au fil des interviews que les gens pensent que David m'a éloigné du piano alors qu'au contraire, il me disait "Diana, faut que tu joues du piano sinon tu vas avoir de gros problèmes". C'est presque comme si on me disait "Tu nous a trahis pour avoir du succès, comment oses-tu faire des chansons pop? " C'est vraiment archaïque comme façon de voir les choses.»

La plupart des chansons de l'album sont archiconnues, sauf la très belle If I Take You Home Tonight, une chanson inédite que Paul McCartney lui a donnée, et Wallflower qui n'est certainement pas la plus célèbre des chansons de Bob Dylan et qui, pourtant, donne son titre à l'album.

«C'est une chanson que j'adore et qui a une signification profonde pour moi, explique Diana Krall. Mes enfants l'ont chantée lors d'une assemblée scolaire, et Elvis et moi les avons accompagnés.»

On y entend également deux duos, l'un avec Michael Bublé - Alone Again (Naturally) - et l'autre avec Bryan Adams - Feels Like Home - dont elle dit que leurs voix se ressemblent tellement qu'elle arrive à peine à discerner qui chante quoi. Il y a aussi I Can't Tell You Why sur laquelle on reconnaîtra un choriste du nom de Timothy B. Schmit.

«C'est un homme très gentil avec qui je corresponds, dit-elle du bassiste des Eagles. D'ailleurs, on m'a fait remarquer que j'avais choisi deux chansons des Eagles mais je ne m'en étais pas rendu compte parce que j'ai toujours associé Desperado à Linda Ronstadt.»

Un spécial pour Montréal

Depuis deux semaines, Diana Krall répète avec ses musiciens le spectacle qu'elle va créer à Paris le 25 février et qui ne se limitera pas aux chansons de Wallflower, mais comprendra également des standards comme Sunny Side of the Street et Just You, Just Me. Elle confie d'ailleurs que son prochain album en sera probablement un de swing.

Sans orchestre, les chansons de Wallflower que s'approprie son groupe s'en trouvent forcément transformées. Elle a même conseillé à ses musiciens de ne pas tenter de trop se coller à l'album.

«C'est comme quand on a fait The Look of Love: je ne pouvais pas me produire avec un orchestre tout le temps, donc je jouais parfois avec un band de jazz.»

À Montréal, toutefois, elle sera exceptionnellement accompagnée d'un grand orchestre, une idée d'André Ménard, cofondateur du Festival international de jazz qui, pour Diana Krall, compte parmi les trois personnes qui ont fait d'elle la vedette qu'elle est aujourd'hui, avec son ex-agente Mary Ann Topper et le contrebassiste Ray Brown.

«Il m'a donné la chance de jouer au Festival de jazz de Montréal alors que j'étais une jeune fille, et pas seulement un soir [NDLR: Diane Krall a joué neuf soirs d'affilée au Cabaret du Musée Juste pour rire au Festival de 1995]. C'est à ce moment que tout a explosé. Et ça a fait boule de neige.»

Diana Krall, à Wilfrid-Pelletier, les 29 mai et 2 juin.

Photo fournie par Universal