Le tiers des pièces musicales que l'on pourra entendre au concert du 30e anniversaire du Cirque du Soleil ont été composées par René Dupéré. La Presse a rencontré ce pionnier de la musique de cirque, à l'origine de la fameuse langue inventée et du «world beat» qui ont été, pendant des années, l'une des marques distinctives du Cirque.

On lui doit la musique d'au moins huit spectacles du Cirque du Soleil, parmi lesquels Saltimbanco, Mystère, Alegría, et Zed. C'est lui qui a composé les premières pièces musicales du Cirque au début des années 80. Il s'est aussi inspiré des musiques slave et africaine pour créer des phonèmes à l'origine de la langue inventée proposée par le Cirque.

À partir de jeudi, le public montréalais pourra réentendre ces pièces interprétées par un orchestre d'une trentaine de musiciens, eux-mêmes accompagnés d'un choeur de 70 chanteurs, dont plusieurs solistes qui ont chanté dans les 35 productions du Cirque. Deux autres compositeurs occupent d'ailleurs une part importante de cette programmation: Benoît Jutras et le duo Bob&Bill.

L'histoire de René Dupéré est liée à la naissance du Cirque du Soleil. Avec sa troupe de musiciens de rue baptisée La Fanfafonie, le jeune homme qui jouait à peu près de tous les instruments de fanfare a fait la connaissance de Guy Laliberté et de son groupe d'échassiers de Baie-Saint-Paul. C'est à sa demande qu'il a dirigé le premier orchestre du Cirque du Soleil, en 1984.

Pourtant, René Dupéré a bien failli rater ce rendez-vous artistique. Le compositeur et arrangeur de 68 ans a en effet commencé sa carrière comme enseignant dans une école secondaire. Un poste qu'il a occupé pendant 14 ans, jusqu'au tournant des années 80. Même s'il enseignait la musique, il avait envie de fonder une troupe de musiciens. C'est en pensant au parcours de son père qu'il s'est lancé...

«Mon père était un chanteur d'opéra, raconte René Dupéré, mais il n'avait pas confiance en lui. Il avait reçu plusieurs offres, mais il avait peur de se lancer dans cette carrière-là, donc il a fait plein de petits boulots, mais il a toujours eu cette tristesse de ne pas avoir fait ce qu'il avait envie de faire. Ça m'a toujours bouleversé et je n'avais pas envie de faire comme lui...»

La période Dragone

De 1986 à 1999, René Dupéré a fait partie d'une équipe de créateurs, parmi lesquels le metteur en scène Franco Dragone et le directeur artistique de l'époque, Gilles Ste-Croix. Ensemble, ils ont créé à peu près tous les spectacles du Cirque de ces années-là.

«On trouvait des thèmes différents chaque fois. C'était une belle période. Un des paramètres de la pérennité du Cirque a été de travailler en petite équipe.»

Comment la musique de cirque a-t-elle évolué depuis ses débuts, il y a 30 ans? «Dans le premier band du Cirque, on était huit, nous dit René Dupéré. Si je prends Zed, qui a été créé en 2008, j'avais une chorale d'une vingtaine d'enfants, 70 adultes, un orchestre de 90 musiciens et 9 musiciens sur scène! Ce n'est peut-être pas comme ça pour tous les shows, mais la musique occupe une place de plus en plus importante.»

En ce moment, René Dupéré compose la musique du nouveau spectacle du Cirque Éloize, Monaco, qui sera présenté le 1er octobre 2015 au Zénith de Paris. Il travaille de près avec la metteure en scène Krista Monson, qui lui envoie des vidéos de numéros acrobatiques. À partir de ces images, il compose la musique, s'efforçant de trouver des couleurs et des textures spécifiques.

«On se parle une fois par semaine, dit-il. C'est la première fois que quelqu'un me donne autant de nourriture. Je n'ai pas toujours écrit la musique en fonction d'un numéro précis. Comme la musique fait partie de la narration, je m'inspire des thèmes, je cherche une unité de son, une atmosphère. La synchronisation avec les numéros se fait vers la fin du travail de scène.»

René Dupéré travaille également à la musique d'un spectacle présenté à Puerto Vallarta, au Mexique. Un spectacle extérieur baptisé Rhythms of the  Night. Il a également collaboré à la réalisation du premier album de sa fille Emmanuelle, qui paraîtra en 2015.

Du 11 au 28 décembre, à l'église Saint-Jean-Baptiste du Plateau Mont-Royal.

6 pièces marquantes de René Dupéré

Le funambule  (La fête foraine, 1983)

«C'est une pièce que j'ai composée en 1979, elle n'était donc pas destinée au Cirque du Soleil. C'est une pièce très mélodique, à l'image de ma musique: à la fois triste et joyeuse. Comme Alegría, d'ailleurs. On l'a jouée pour la première fois avec une fanfare, mais c'est une pièce très douce. Dans La fête foraine, on l'a fait jouer au tout début et puis dans la scène finale, pendant qu'un clown éteignait les lumières.»

Pokinoï (Saltimbanco, 1992)

«Dans cette pièce, j'ai utilisé des phonèmes qui rappellent les langues slaves et russe. Je faisais des rimes à la fin des phrases, qui donnaient l'impression d'une langue existante. Je trouvais que Pokinoï sonnait bien, c'est tout. Elle accompagnait un numéro de trapèze. Un jour, un des artistes russes de Saltimbanco est venu me voir et m'a dit: "Tu sais, ta chanson Pokinoï, eh bien c'était mon surnom quand j'étais petit..."»

Kumbalawé (Saltimbanco, 1992)

«J'ai composé cette pièce en m'inspirant de la musique africaine. J'ai demandé à un ami rwandais de m'écrire des chansons pour enfants. J'ai composé la pièce en reprenant les phonèmes de certains mots-clés que je répétais dans la chanson. Je trouvais que Kumbalawé voulait dire: bienvenue sur la Terre. C'était important pour moi que la musique évoque des choses plutôt que de les décrire. C'est drôle parce que mon garçon Nicolas était l'un des artistes de Saltimbanco

Vai vedrai (Alegría, 1994)

«C'est la première pièce que Francesca Gagnon a chantée. Quand j'ai entendu sa voix, je suis tombé à la renverse, je me suis dit: c'est elle que je veux avoir. Elle habitait à Paris et elle était revenue au Québec pour les funérailles de son père. En fait, c'est sa soeur Joyce qui devait faire l'audition, mais Francesca l'accompagnait. À un moment donné, on lui a demandé de chanter et c'est elle qu'on a gardée! Le spectacle a été présenté pendant 19 ans!»

Alegría (Alegría, 1994)

«Je me souviens du jour où je l'ai composée. C'était en avril 1994. Il faisait beau, mon fils habitait avec moi et j'ai trouvé sur mon synthétiseur un son de guitare que je trouvais super beau. Je l'ai enregistré sur mon ordi et je suis allé acheter du lait pour mon café. Mais il y a eu une panne d'électricité et j'ai perdu ma toune! Trois jours plus tard, j'ai retrouvé le son et j'ai composé la pièce. Deux personnes m'ont dit que c'était un hit quand elles l'ont entendue: mon garçon et Guy Laliberté.»

Aftermath (, 2006)

«Toutes les pièces de ce spectacle étaient très cinématographiques. C'était ma première collaboration avec Robert Lepage et je dois dire que nous avions des affinités musicales. C'est à la fois un metteur en scène et un musicien; on se comprenait bien. Guy [Laliberté] avait dit: "C'est le premier show du XXIe siècle." Ça correspond aussi pour moi à de nouveaux défis, parce que nous avions à la fois des musiciens, un orchestre et des pistes audio activées par un séquenceur musical.»